« Je suis pas sensé mourir comme çaaaaaaaa ! » Que tu hurles sur ton balai fou en filant à toute vitesse dans l’espace aérien de l’académie. Une brusque embardée du stupide bout de bois te coupe le souffle plus efficacement que si tu t’étais pris Armand sur le dos, et ça interrompt momentanément ton cri. Puis le Comet 160 se lance dans un tonneau, et tu t’accroches de toutes tes forces à l’engin – heureusement pour toi que tu n’as pas loupé les entraînements de Botteballon, tu y as développé de bonnes cuisses.

La fin d’après-midi avait été parfaite, pourtant. Tu as été en cours de cartomancie où tu as brillé comme le petit astre que tu es, t’as pris un bon apéro avec des spécialités de Vendée ramenées par Marius, t’as presque réussi à convaincre une fille de huitième année à te peloter dans un placard, t’as joué aux boules, tu t’es enfilé un repas délicieux, tu es parti en balade nocturne à balai, et en passant au-dessus des jardins, t’as même fait un doigt d’honneur à Eshter. Et puis, une quinzaine de minutes plus tard, alors que tu savourais le plaisir d’un couvre-feu brisé, ton balai a commencé à déconner sec (et tu t’es rendu compte que ça sentait vachement le brûlé, quand même). Soudainement, tu t’es retrouvé à chuter d’un mètre pour remonter aussitôt de trois, et si tu étais dans le contrôle, t’aurais gloussé comme un dindon, mais tu es moins fan des sensations fortes quand c’est un balai visiblement possédé qui les provoque.

« Je veux desceeeeeendre ! » Beugles-tu quand t’es presque éjecté en avant. « En fait nooooon ! » Que tu ravises en te rendant compte que ce ne serait pas la meilleure idée, vu que tu culmines actuellement à 30 mètres au-dessus du plancher des vaches. Quand tu repars en arrière et que tu passes à travers un cercle de fumée, sentant au passage une forte chaleur lécher ton dos, tu te rends compte que les brindilles de queue sont en flammes (et qu’il est fort probable qu’il existe un lien de causalité entre celles-ci et ta situation précaire).

Mais qu’à cela ne tienne, t’es un sorcier de génie et tu arrives toujours à te sortir de tes pires conneries ! Tu décroches prudemment une main pour fouiller dans la poche interne de ta veste et sortir ta baguette. Vite, parce que le feu commence sérieusement à chauffer tes jolies miches. C’est le moment précis que choisit le Comet maltraité pour partir en piqué tourbillonnant, et la force centrifuge t’arrache ton alliée des mains. Oh, oh. Bon, d’accord, là t’es peut-être un peu dans la sauce.

« AaaaaaaaAAAAAAAAAHHHhhhhh ! » Hurles-tu à nouveau, sans plus trop savoir où est le sol et où se trouve le ciel, ni dans quelle direction tu devrais essayer d’aller. Et tu paniques quand tu aperçois une lueur dans la nuit, parce que ton père t’as dit un jour que si t’étais dans une situation dramatique, il ne fallait surtout pas aller vers la lumière. Tout à coup, ton balai se fige, et tu te retrouves à chuter, chuter… chuter. T’as même pas le temps de flipper ou de voir ta vie défiler devant tes yeux ; t’es juste indigné parce que tu as prédit que tu te reproduiras et vivras vieux – et bon sang, Raphaël Delestre ne se trompe jamais !

Une onde fraîche t’ouvre soudainement sa lisse surface pour que tu t’y écrases en toute sécurité. Le choc t’assomme presque, de même que la différence de température, et tu croupis quelques instants sous l’eau, hébété, avant que tes réflexes de survie ne s’activent. En quelques battements de pieds, tu émerges et prends une grande goulée d’air. Tu restes sonné. Tout parait bien silencieux, maintenant, même l’eau semble se faire discrète.

…
Wahou.
C’était DÉMENT.
Encore, encore !

« Raphaël Delestre ! Tu ferais bien de revenir sur la terre ferme si tu ne veux pas que je vienne te chercher moi-même ! »

Oh, oh. (Le deuxième de la soirée.) Kamala, la cousine déléguée de Soha-chouchou, se tient sur la rive, et elle n’a pas l’air contente. Tu la fixes deux secondes, avec l’air d’un enfant pris la main dans le sac… et te mets aussitôt à nager dans le sens inverse de sa direction. C’est quoi le dicton, déjà ? « Pas vu, pas pris » ? Tu te contenteras de « pas pris, pas pris ». Après tout, la jolie donzelle n’a pas précisé de quel côté de l’étang elle voulait que tu sortes.

( Pando )

Si Kamala pense qu’en te criant dessus, elle va te pousser à t’exécuter, elle se fourre le doigt dans l’œil ! Ce qui est inacceptable, c’est le millier de règles ennuyeuses de cette académie ! Songes-tu en fuyant. Par les astres, t’es adulte (physiquement, du moins), tu devrais pouvoir sortir à l’heure que tu veux ! C’est donc avec un crawl très mature que tu t’éloignes de la figure d’autorité, bien décidé à échapper temporairement à la punition, au moins le temps de retrouver ta baguette. Sans elle, tu te sens tout nu.

T’es presque arrivé de l’autre côté de l’étang quand tu aperçois Kamala te dépasser (SUR TON BALAI, non mais quel culot !) et t’attendre sur la rive. Tu t’arrêtes un instant, réfléchissant à la suite – t’as franchement pas envie de te prendre un savon, surtout que ta propre mère ne t’en a jamais donné, ce n’est pas pour en recevoir d’une nana d’à peine un an ton aînée. Cela dit, si tu nages de l’autre côté, Kamala t’y rejoindra en deux secondes grâce au Comet (qui semble ne pas avoir subi trop de dommages, cool, t’aurais pas eu de quoi payer la facture !). Tu songes un instant à te noyer volontairement, histoire que la déléguée culpabilise et s’attire plein de soucis avec la doyenne. Mais, comme ça ferait mentir ta prédiction, tu renonces à cette idée et recommence à nager avec humeur.

Et… C’est toi ou Kamala offre un joli spectacle, là ? Tu retrouves pieds et te dépêches de sortir de l’eau, soudainement très intéressé. Un gigantesque sourire vient parer ta figure de crétin. Une fille toute mouillée à cause de toi, papa serait fière ! La jeune femme, les joues aussi embrasées que ton balai il y a quelques minutes, t’interdit tout gloussement ou regard. « Oh, j’ai pas de raison de rire ! » Rétorques-tu. D’observer, par contre… Tu mets les mains devant tes yeux et ne prive pas de regarder à travers tes doigts. Armand ne te croira pas, demain, quand tu lui diras ce que tu as aperçu de la déléguée de la Terre ! Celle-ci te gronde, tempête, t’ordonne d’effacer ton sourire insupportable (adjectif premier pour le qualifier, celui-là), mais évidemment, ça ne fait que l’agrandir. Dans une pudeur inefficace, elle se détourne (tiens, jolie vue d’ici aussi) et se lance un sort de séchage. T’es un peu déçu par l’opacité retrouvée de ses vêtements.

Oh, oh (troisième de la soirée), Kamala semble vraiment fâchée. À sa bête question, tu réponds avec un air contrit, en totale opposition avec tes paroles provocatrices. « Sur la terre ferme, comme tu me l’as demandé ! J’ai pris le chemin le plus court vers mon dortoir, regarde ! » Et tu pointes du doigt la résidence du Soufre, en retrouvant ta risette (que toi, tu trouves franchement adorable). Une chance que tes quartiers soient du bon côté !

T’as l’audace de rejeter en arrière tes cheveux dégoulinants de vase, dans un geste séducteur. Comment ne pourrait-elle pas craquer alors que tes vêtements trempés moulent avantageusement ta silhouette de sportif ? « Bon bah, je sais que tu voudrais profiter de moi un peu plus longtemps, mais le règlement stipule que je devrais être dans mon lit, et ça m’empêcherait de lui obéir, alors… On se fera un rencard dans des heures plus décentes. Bonne nuit, petite princesse terrestre ! » Et tu la contournes, en espérant qu’elle n’aura pas envie, en cette belle soirée de juin, de te courir après. Tant pis pour ta baguette, tu demanderas à Marius de lancer un Accio dessus. Enfin, en supposant qu’il n’ait pas encore perdu la sienne.

( Pando )

Affaire rondement menée, penses-tu en contournant la déléguée. T’es en vie, t’as évité la punition, tu t’en vas retrouver ton lit, et demain, tu seras en pleine forme pour l’entraînement de Botteballon. Sauf qu’encore une fois, tu as crié victoire trop vite. Kamala ne l’entend pas de cette oreille, elle te rattrape avec moins de délicatesse que si tu étais un cafard. Oups, tu l’as peut-être un peu fâchée. Elle te baragouine que ne t’es pas renseigné, qu’elle n’a rien d’une princesse, et cette protestation te semble si ridicule que t’en échappes un bref rire moqueur. « Bah voyons. » Et tu regagnes en sobriété, parce qu’elle n’est pas d’humeur à rire (dommage, toi si). En même temps, c’est elle qui dit n’importe quoi. Elle est riche, délicate, elle a de longues robes, elle se balade avec des fleurs dans les cheveux, elle a un langage parfait, une particule, elle est intelligente, elle se comporte comme une diva (même si elle nierait sûrement ça en bloc), et t’es persuadé de l’avoir déjà vu avec un diadème lors d’une occasion spéciale. Bon, il n’est pas impossible que tu confondes les femmes (ce n’serait pas la première fois) mais Kamala coche bien plus de cases « princesse » que « pas princesse ».  

Cependant, tu te retiens de lui faire ton exposé, parce qu’elle semble sur le point de t’arracher la tête. Elle se met à énumérer les règles offensées, et ton esprit décroche un peu, jusqu’à ce qu’elle mentionne ton Comet. « Oh, merci » dis-tu en ramassant le balai abandonné. C’est que tu as privilégié la fuite au matériel. La princesse-qui-n’est-pas-une-princesse continue d’aboyer, et tu te retiens de soupirer (elle a assez de moutarde dans le nez). Elle s’interrompt, se détend légèrement, et t’attends en silence, espérant que l’orage est passé. « Tu sais quoi ? Ce rencard comme tu dis, on va le faire maintenant. » … Oh. Vraiment ? Génial ! Purée, tu savais que cette belle gueule allait finir par te sortir d’un mauvais p… « Tu vas venir avec moi, et on va trouver ta déléguée d’élément. » Hein, quoi ? Hé, mais non ! Elle se met à te tirer par le poignet qu’elle avait chopé, et tu songes à crier à l’agression, mais personne ne te croira face à Kamala, alors tu consens à la suivre avec une tête de chien battu.

« Oh non, s’il te plait, pas elle ! Elle en rajoute toujours pour me causer des problèmes ! » La jolie indienne continue à t’emmener vers ton funeste destin d’un pas décidé. « Aller, quoi, n’sois pas vache ! Je voulais pas enfreindre le couvre-feu, promis, tu sais bien que j’essaie de me tenir à carreaux ! » C’était un bien grand mot, mais depuis que tu fais l’équipe de Botteballon, nul ne peut nier tes efforts pour réaliser tes méfaits discrètement. « Et puis, c’est pas ma faute si on a mis le feu à mon balai ! » Rien n’y fait, elle ne t’écoute pas. « Je suis victime d’une tentative de meurtre, et toi, tout ce que tu veux, c’est me punir ! J’ai eu trop peur ! J’ai l’état de choc qui monte ! Tu devrais plutôt m’emmener à l’infirmerie… ! » Autant parler à un mur. Tu sombres dans un silence vexé – bon, tu exagères, mais il y a un fond de vérité, là-dedans. T’es d’accord pour te faire punir quand tu le mérites, mais là, c’est toi la victime dans cette histoire. Certes, tu as effectivement enfreint le couvre-feu tout seul, mais ça, Kamala ne le sait pas !

Tu la suis donc en boudant. Ton pauvre Comet, rendu à la fonction première des balais, racle le sol en produisant un crissement agaçant. Tu lâches un soupir bruyant, trouve injuste de ne pas avoir le droit de te dégager sous peine de tripler la punition, jette un regard désabusé au poignet qu’elle enserre… et lâche un sourire de crétin. Comme on dit, fichu pour fichu… ! « Tu sais, Kamala, dans un rencard, c’est par la main qu’on se tient. »

( Pando )