La journée était longue, si longue. D’une longueur que Manami aurait voulu arrêter rapidement. D’une longueur qu’elle aurait voulu pouvoir accélérer. Le seul point positif était son cours d’Alchimie. Elle a une passion certaine pour les réactions, les nouveautés et les quantités de choses possibles à faire avec les mêmes ingrédients dépendant uniquement d’une manière de mélanger, d’une manière de les ajouter, de les couper ou de les broyer. L’ordre compte autant que l’ingrédient en lui-même et ce simple fait la fascine. Ça la fascine presque autant que de voir Haruo tourner autour de Kamala tous les jours sans vraiment s’en rendre compte. Il est comme la terre autour de son petit soleil personnel. C’est mignon. Manami est un peu envieuse. Elle aimerait avoir quelqu’un qui tourne autour d’elle, comme de son soleil personnel, elle aussi. Mais ça, et bien… Ça c’est. Bon. Manami préfère éviter de trop y penser, après tout. Chihiro, tantine et ses parents lui ont fait comprendre qu’il ne serait de bon goût que d’imaginer pouvoir se trouver toute seule un homme à aimer. Seul un garçon choisi par Claire du Chesnes en personne serait suffisamment méritant pour atteindre le soleil personnel qu’elle aimerait être.
Qu’elle n’est pas, la reine de glace.

La journée est longue, mais finit par se terminer. Elle est fatiguée et n’a qu’une envie, celle d’aller se coucher. Mais d’abord, il y a ces quelques heures. Des heures durant lesquelles elle va devoir trouver des choses à faire. Il y a les clubs, mais elle n’en a pas, aujourd’hui. Il y a les devoirs, mais elle a déjà réussi à en faire la plupart entre deux cours. Puis il y a le repas. Qui ne la tente pas plus aujourd’hui qui ne la tentait hier. Ça lui laisse du temps pour retourner dans la classe de potion. Elle est heureuse que les élèves aient la possibilité d’y aller dans leurs temps libres pour expérimenter. Manami suppose que logiquement, elle reste ouverte pour qu’ils puissent revoir leurs cours ou faire des expériences pour leurs devoirs. Mais Manami est devenue adepte du “ce qu’ils ne savent pas ne leur fait pas de mal” et en profite aussi pour faire ses propres expérimentations.

Alors qu’elle entre dans la salle, elle pose ses affaires sur un siège, retire son pull rouge et remonte les manches de sa chemise, rouge également. Un élastique (rouge) passe de son poignet à ses cheveux et les enferme dans une queue de cheval basse qui empêchent les longues mèches fines et lisses de s’échapper dans ses yeux ou, Merlin la protège, dans sa préparation. Elle prépare ses ingrédients avec attention et finit par se fermer au monde extérieur. Si quelqu’un entre dans la salle, elle n’en fait aucune constatation, si quelqu’un en sort non plus.
Pourtant, il suffit d’une seconde d’inattention, alors qu’elle se passe un mouchoir en tissu, rouge, sur son front. Elle lève les yeux, et elle voit une jeune fille entrer dans la salle. Elle fronce les sourcils, légèrement. Le visage caché derrière les cheveux noirs lui dit vaguement quelque chose, comme un souvenir d’enfance mais Minami ne parvient pas à mettre de nom, ni de lieu dessus.
Habituée à ne pas s’habituer au superflus, elle essaye de se reconcentrer. Habituée. L’habitude pourtant, chasse rarement le naturel lorsqu’il est si présent. Et c’est la tête embrouillée par un souvenir qu’elle ne parvient pas à rattraper que Manami relève les yeux de nouveau vers la nouvelle arrivée, croissant son regard dans le sien, noir légèrement marron contre noir légèrement noisette.

Il y a quelque chose qu’elle reconnaît dans ce regard. Quelque chose datant de l’enfance, l’époque où il était facile d’être heureuse et où le cacher n’était pas obligatoire. Une période où Claire était concentrée sur d’autres personnes qui subissaient son courrou et où Manami pouvait encore avoir des amis à elle, choisis par elle et qui l’avaient choisis en retour. Un nom semble s’imposer à son regard : Isabelle. Elle a entendu ce qu’il s’est passé avec sa famille, elle se souvient encore du jour où elle l’a apprit, de la réaction de Claire et du rire heureux qui a suivi. Sa chère tantine, heureuse du désastre et du désespoir d’une autre famille de nobles. Manami suppose que Claire considère que moins de nobles il y a, plus de pouvoirs la noblesse aura. Manami est pas sûre que ça fonctionne comme ça. Elle se souvient avoir été triste, si triste lrosqu’elle l’a apprit. Et avoir été égoïstement à la limite du désespoir. Oh déjà à l’époque elle comprenait ce que ça voulait dire. Si ses amies n’étaient plus nobles, alors elles ne pourraient plus être amis. Et c’était, sans surprise, exactement ce qu’il s’était passé. Isabelle et elle avaient perdu contact. Même à Beauxbâtons elles ne s’étaient pas retrouvé. Si elles avaient été dans le même dortoir, peut-être auraient-elles réussi à renouer leur amitié loin de leurs demeures, loin de leur famille. Ça n’a jamais été le cas.
Les deux filles semblent se toiser, de temps en temps, doucement. Manami aimerait pouvoir aller vers elle, lui parler mais elle a peur. Est-ce qu’elle se souvient d’elle ? Est-ce qu’elle lui en veut ? Elle a changé, elles ont toutes les deux changé. Est-ce qu’elle lui en veut de pas avoir insister sur leur amitié ? Est-ce que… Trop de questions qui l’empêchent de faire le premier pas. Est-ce que Claire, qui a des oreilles et des yeux partout, pourraient leur en vouloir et descendre la famille d’Isabelle d’autre plus juste parce que Manami aurait été lui parler ? Elle veut blesser personne, Manami. Elle veut que personne ne soit en danger à cause d’elle.
Alors elle continue sa potion et fait comme si de rien n’était. De temps en temps, elle lève les yeux, croise le regard d’Isabelle et rebaisser les yeux.

De beaux souvenirs lui reviennent, des souvenirs d’enfance et de rires. Des rires comme il y a longtemps qu’elle n’a pas rit. Aujourd’hui, il lui arrive bien plus souvent d’être triste que d’être heureuse. Elle se souvient, Manami, qu’à l’époque beaucoup de ses rires venaient de sa relation avec Isabelle. Enfant, elle riait avec Isabelle comme elle riait avec Haruo. À gorge déployée, sans peur du regard de l’autre.

Sa voix résonne dans la salle quasi vide et Manami relève les yeux vers elle. C’était si faible, presque caché. Presque comme si elle espérait que Manami ne l’entende pas. Elle l’a entendu. Dans n’importe quelle autre situation ça n’aurait peut-être pas été le cas mais elle était concentrée sur elle, bien plus que sur sa potion qui venait de tourner rouge, une couleur qu’elle n’était définitivement pas censée prendre. “Isabelle ?” Elle éteint le feu sous son chaudron d’un coup de baguette magique. Sa potion est complètement gâchée, mais qu’importe, ce n’est actuellement pas le plus important. Elle s’étrique de derrière son poste de travail et se pose devant celui d’Isabelle, le regard doux et désolée, presque malgré elle. “Ça fait… un moment.” qu’elle lui dit, doucement, comme un secret. Elle ne chuchote pas, elle n’en est pas là, mais pas bien loin. Elle a l’impression que les retrouvailles ne sont que pour elles, pas pour les oreilles extérieures. Puis surtout pas pour celles que les pions de Claire pourraient avoir à Beauxbâtons.

Elle se souvient de la première fois, la toute première, où elle a compris que la Marquise l’espionnait à Beauxbâtons. La première fois qu’elle a compris qu’elle avait des oreilles chez les élèves (probablement des roturiers qu’elle payait pour l’espionner incognito). Elle se souvient de la remontrance à laquelle elle avait eu droit lorsqu’elle avait été la voir. “Qu’entend-je, tu sympathises avec des bourgeois ? Tu restes avec eux par choix même lorsque le devoir ne t’y obliges pas ?” Maintenant, elle fait gaffe. Elle prend ses précautions. Elle tend, si ce n’est de se cacher, ce qui dans le cas actuel est impossible, au moins de ne pas laisser aux potentiels espions de sa tante, le loisir d’entendre ce que les deux filles se disent.

Elle lui a manqué, Isabelle. Elle en a vécu des choses difficiles depuis la dernière fois qu’elles se sont parlées. Et c’est des époques où Manami aurait sincèrement apprécié l’avoir à ses côtés. Parce que c’est des époques où elle avait besoin d’une amie. Qu’elle n’en avait pas. Lors de “l’accident” de Chihiro, elle aurait voulu l’avoir à ses côtés pour pouvoir lui en parler, lui demander si elle connaissait ça. Si elles pouvaient trouver un moyen, ensemble, de comprendre ce que ça voulait dire, ce que ça impliquait. Elle aurait voulu qu’elle soit là lorsqu’elle a commencé à devoir jouer un rôle, ce rôle qui la rend malade à chaque insulte, à chaque sort, à chaque rictus.

Lorsqu’elle lui dit qu’elle a failli pas la reconnaître, ça la frappe, à quel point elle a dû changer depuis le temps. Le rôle n’a pas juste changé sa personnalité, mais aussi son physique. Comme pour assumer son rôle de princesse des glaces, son visage s’est allongé, ses traits se son marqués. Et c’est sans compter les nombreux kilos qu’elle a perdu depuis que Claire lui a fait comprendre qu’elle mangeait trop. Les kilos qu’elle a perdu depuis qu’elle a diminué son régime alimentaire de normal à presque nul.
Ça doit lui faire bizarre, à Isabelle. Après tout, elle aussi a changé. Mais Manamie a l’impression que c’est toujours son amie. La même petite fille avec qui elle jouait. Oh, oh elle sait que ce n’est pas le cas. Elle a entendu les on-dit. Elle a entendu ce qui se dit dans les cercles bourgeois et nobles sur la famille Archambeau mais ça change rien pour Manami. Elle a juste l’impression d’avoir retrouvé une vieille connaissance qui n’a pas vraiment changé autrement que par quelques années.

La voix d’isabelle la fait sortir de ses pensées lorsqu’elle lui parle de sa potion. Manami lui répondu par un sourire fataliste, un brun amusé. Un brun heureux. Quelque chose de rare chez elle, surtout en ce moment. Quelque chose qu’elle peut ressentir, parfois, mais qu’elle doit cacher, tout le temps. “Non, t’inquiète pas. Elle se tourne à son tour vers son chaudron, et ne peut pas empêcher la grimace qui apparaît sur son visage. ”Enfin… Si. Mais c’est pas grave, je peux la recommencer. Puis… Avec toi ici, j’aurais pas réussi à me concentrer avant de te parler de toute façon, donc…”

Ça fait tellement longtemps, tellement longtemps qu’elle, “Je sais pas trop quoi te dire. Enfin… Tu vas bien ?” Oui. Oui, c’est déjà quelque chose. Un commencement. Une ouverture. Elle a pas particulièrement envie de lui parler de la pluie et du beau temps mais lui demander comment elle va semble être juste. Manami a de quoi s’inquiéter après tout, avec tout ce qu’elle a entendu.

Manami a jamais trop été de celles qui écoutaient ou racontaient les ragots. Elle a trop l’habitude d’être celle dont les ragots parlent et par conséquent évite de colporter ceux qui parlent d’autres gens. Elle sait que ça peut vite partir loin et blesser des personnes qui, inévitablement, ne le mérite pas.
Certaines personnes sont mauvaises, de nature. Mais personne ne mérite de se prendre une rumeur qui restera collé à eux pour une éternité alors que c’est faux.
Elle n’a jamais cri d’ailleurs non plus au dicton “pas de fumée sans feu”, elle pense sincèrement que c’est juste un moyen que les raconteurs de ragots ont trouvé pour se dédouaner des impacts de leurs bêtises.
Parfois cependant, y’a pas le choix. Parfois, c’est tellement présent, tellement bruyant, certaines rumeurs, qu’elle est obligée de les avoir entendu. Et elle a entendu les disputes entre Isabelle et sa soeur. Elle a entendu les problèmes avec sa famille. Et en tant qu’amie, elle a rien fait, elle a pas été là.
Parce qu’à l’époque, elles ne se connaissaient plus. Ne se croisaient même plus.
Le fait est. Elles se sont à peine reconnues.

Elle est rassurée cependant, de voir qu’elle n’a pas l’air au fond du trou comme elle pensait qu’elle était à en croire les qu’en dira-t-on. Elle ose sourire, se montrer telle qu’elle est. Et ça lui fait un bien fou. Ça lui fait un bien fou parce qu’elle la connaît comme ça. Parce qu’Isabelle sait qui elle est. Celle qu’elle a toujours été, depuis sa naissance. Et passer du temps seule, avec elle, dans les donjons, c’est une libération. Limitée, bien sûr, sa concentration est focalisée sur la porte, s’assurant de retrouver un visage fermé dés la première personne qui passera le pied de la porte.

Isabelle lui dit qu’elle a bien. Enfin, plutôt bien, quoique ça veuille dire. Est-ce que c’est important, que ça n’aille que “plutôt” bien et pas juste “bien”. Elle se demande si, comme elle, elle est habituée à mettre un masque pour faire croire à se proches qu’elle va bien. Ou aux non proches qu’il ne faut pas l’approcher.
Elle n’espère pas.
Elle sait à quel point ça peut faire mal, détruire même. Elle espère qu’Isabelle n’a pas besoin de tout ces artifices. De tout ces mensonges.

Lorsqu’elle lui demande à son tour comment elle va, Manami n’est pas bien sûre de quoi lui dire. Elle ne sait pas si elle doit lui dire la vérité ou lui mentir. Elle ne sait pas ce qu’est la vérité ou ce qui serait un mensonge.
Est-ce que lui répondre qu’elle va bien serait un mensonge ? Non, pas vraiment. Mais ce serait loin d’être la vérité pour autant. Pourtant, par faute de savoir quoi d’autre lui dire, elle s’arrête sur un “Aussi bien que je puisse aller” probablement pas aussi positif que ce que le bon sens voudrait mais plus proche de la vérité qu’un simple “ça va”.

Elle parle de la potion et Manami sourit de nouveau. Elle peut enfin parler de quelque chose qui l’intéresse. “Je cherche une potion qui pourrait contrer le pouvoir du véritaserum. Je sais qu’une intelligence assez élevée peut contourner les questions sans avoir à mentir, ou que les occlumens ont une plus grande facilité à résister à de faibles doses, bien que ce ne soit pas, à ma connaissance, prouvée. Mais je veux savoir s’il y a une antidote. Comme quelque chose que l’on pourrait prendre avant qui contrecarrerait l’effet de la potion. Du coup je fais des tests.” Elle regarde l’état de sa potion. “Pour le moment, pas vraiment concluants…”
Elle relève les yeux vers son amie, la tête triste un peu boudeuse. Un peu amusée par son propre échec. Echec logique. Lorsqu’on entreprend quelque chose de cette ordre. En étant toujours seulement élève.

Elle ne sait pas si elle réussira un jour. Elle ne sait pas si ses recherches sur le véritaserum finiront par aboutir. Ce qu’est sûr, c’est qu’elle ne saura pas tant qu’elle n’aura pas tout testé. Elle sait parfaitement qu’en ce moment, elle n’est qu’au tout début de ses recherches. Elle a feuilletée pas mal de bouquins mais elle n’en a finalement pas lu tant que ça. Elle a testé des formules mais si peu. Elle sait qu’elle n’est qu’à un petit 0,0000000001% du chemin et de ses recherches. Elle est encore loin du stade où elle pourra dire pour sûr si c’est quelque chose qu’elle pourra atteindre ou non. Si elle se rend compte que ce n’est pas le cas, alors elle travaillera sur autre chose, et elle attendra d’avoir plus d’expériences avant de s’y remettre.

L’antidote au véritaserum ne lui tient pas forcément particulièrement à coeur mais elle sait que mentir est quelque chose de particulièrement utile dans leur monde. Utile, voire même essentiel. Dans les familles nobles, sans mensonge, tout le monde se taperait dessus et les meuurtres seraient courants. Si Manami ne savait pas déjà parfaitement bien mentir, elle ne serait pas la Manami que tout le monde connaît. Elle serait celle que Kamala connaît. Celle qu’Eliaz semble connaître malgré tout. Celle que sa famille sait qu’elle est et haït. Cependant, malgré tous ces mensonges, le véritaserum étant ce qu’il est, impossible pour elle, eux, de mentir. Alors que mentir, pour elle, eux, c’est une question de survie.

Mais elle ne va pas expliquer tout ça à Isabelle. Déjà probablement que ça ne l’intéresse que très peu. Ensuite, c’est des réflexions dangereuses, des réflexions qu’elle préfère garder pour elle. Qu’elle finira peut-être par partager mais uniquement avec des gens qui la comprendront pour sûr. Des nobles. Et rares sont les nobles à qui elle pourrait se confier sur quelque chose comme ça.

La voix de son amie la sort de ses pensées et elle hoche la tête à sa réflexion. Un projet impressionnant, oui, c’est le moins qu’on puisse dire, c’est sûr. Elle sourit aussi simplement lorsqu’elle lui dit qu’elle est sûre qu’elle réussira. Elle n’a pas envie de la ramener les pieds sur terre comme elle l’est et de lui dire que probablement pas, que c’est très certainement impossible ou en tout cas inatteignable pour quelqu’un de son âge.

Lorsqu’elle lui dit qu’elle a des lacunes en potions, Manami lève les yeux vers elle, les yeux surpris. Elle sait que les potions sont une matière difficile, mais elle ne a toujours du mal à imaginer que les gens n’y arrivent pas. Elle n’a jamais compris la difficulté de suivre une recette au gramme et au millimètre près. Bien que l’intérêt des potions, au final, réside dans le fait de les twister à son goût et les modifier pour en créer de nouvelles. Faire des découvertes.

“Ah bon ? Tu n’arrives pas à suivre les recettes ?” Si ça paraît condescendant, ce n’est pourtant absolument pas l’idée, ni le but. Non, elle veut juste comprendre. Isabelle n’est pas la première personne à lui faire une confession pareil et elle chercher juste à savoir comment ça se fait que tout le monde ne soit pas juste très bon en potion. C’est si évident.