ELIAZ &
ISABELLE

Aussi loin qu’elle se souvienne, Isabelle a toujours aimé l’art. Elle aime dessiner ; peindre ; sculpter ; parfois même photographier, mais lorsqu’il s’agit d’écrire c’est toujours plus compliqué. Elle a bien plus de facilité à s’exprimer à travers les images qu’à travers les mots, alors quand ses devoirs d’arts et esthétique ne sont que l’ennuyeuse rédaction d’une dissertation, elle se retrouve assez vite déstabilisée. « Heureusement », cette fois-ci un élève plus âgé était chargé de l’aider. Malheureusement, il fallait évidemment que ça tombe sur Eliaz Caradec. Quelle poisse. Ce choix lui fit lever les yeux au ciel plus d’une fois avant qu’elle ne se décide enfin à le rejoindre là où ils s’étaient donné rendez-vous, non sans trainer des pieds.

Alors qu’Isabelle franchissait enfin les portes de la bibliothèque, un très grand soupir (un peu trop exagéré à son goût) se fit entendre. Cela ne pouvait être qu’Eliaz, qui d’autre que cette indétrônable drama queen était capable de produire un tel son d’exaspération ? Elle se dirigea donc en direction du bruit qu’elle avait entendu et… bingo, c’était bel et bien lui et sa tronche de déterré. Il semblait tout aussi ravi qu’elle d’être ici.

Après s’être approchée avec toute la nonchalance du monde, Isabelle s’installa dans le fauteuil en cuir qui lui était destiné. « Salut Caradec. » dit-elle sans même le regarder. Suite à cela, elle posa délicatement son carnet de croquis sur la table, avant de poser avec cette fois-ci bien moins de délicatesse un livre qui était supposé l’aider à remplir cette fameuse dissertation. Mais il fallait avouer qu’elle comptait d’avantage sur Eliaz que sur son livre pour ce devoir, n’ayant pas la moindre idée de ce qu’elle allait bien pouvoir écrire… Cette journée était bien partie pour s’éterniser. Elle soupira à son tour (moins fort qu’Eliaz tout de même), puis leva finalement les yeux vers lui avec un regard interrogateur, l’air de lui demander par quoi ils allaient bien pouvoir commencer pour mettre fin à cet enfer au plus vite.

ELIAZ &
ISABELLE

« Yo Archambeau. Super que tu sois venue, tu vas voir, on va en faire qu’une bouchée de ton devoir ! » Isabelle semblait écœurée à l’entente de ce nom de famille qu’elle détestait de tout son être. Quant à son devoir… À moins qu’Eliaz ait décidé de s’y coller tout seul pour en finir au plus vite, ils allaient très certainement y passer tout l’après-midi. « Mouais. » répondit-elle alors simplement.

Après cela, un silence insoutenable s’était installé. Isabelle n’avait clairement pas l’intention d’être la première à ouvrir la bouche, peu importe à quel point Eliaz semblait mal à l’aise et à la recherche de ce qu’il allait bien pouvoir dire. « Alors Archie, qu’est-ce que ce sujet t’inspire ? » (Archie ?! Comment cet imbécile pouvait-il se permettre de lui donner un tel surnom ?) Isabelle lui lança un regard noir. Si il l’appelait encore une fois comme ça, elle lui ferait très certainement bouffer cette satanée plume de paon qu’il avait apporté. Qui donc avait besoin d’une plume aussi longue ? Et moche qui plus est. Et puis, était-il trop bête pour faire attention à ce qu’il faisait ? Isabelle repoussa violemment la plume qui s’approchait un peu trop près de son visage. « Dégage cette plume de là, ou je te promet que je lui lance un incendio à cette affreuse chose trop colorée. »

Eliaz se lança dans un monologue qui lui semblait interminable et complètement dénué de sens. C’était à croire qu’il n’avait fait que dormir pendant chacun de ses cours d’arts et esthétique. N’avait-il donc rien appris ces dernières années ? Allait-il vraiment lui servir à quelque chose en tant que tuteur ? Isabelle en doutait. « Toi qu’aimes bien gribouiller des machins, tu dois bien avoir une idée ? » Isabelle lui lança une nouvelle fois son regard noir. « Gribouiller… des machins… ? » Elle poussa un long, très, très, très long soupir. Comme pour essayer de se calmer, et surtout, de se retenir de lui envoyer son livre le plus lourd à la figure. « Je ne fais que dessiner ce qui m’entoure, en quoi ça va m’aider à rédiger une dissertation sur la magie et l’art ? » grommela-t-elle. « Et puis je déteste écrire. »

Le temps lui paraissait déjà bien trop long alors qu’ils venaient à peine de commencer. Le regard d’Isabelle se tourna un instant vers son carnet de croquis. Elle n’avait qu’une envie, c’était d’être débarrassée de ce foutu devoir afin de pouvoir esquisser quelques portraits.

ELIAZ &
ISABELLE

Isabelle avait finalement décidé d’ignorer tous les surnoms ridicules et les blagues idiotes qu’Eliaz débitait sans cesse, sinon elle risquait fort de perdre patience et de partir soudainement, avant même d’avoir commencé ce foutu devoir. Malheureusement, ce dernier n’allait pas se faire tout seul. Elle se contenta donc simplement de soupirer une nouvelle fois, comme pour donner raison à l’autre imbécile avec son histoire de trompette à la noix. Le dessin, c’est de l’art, non ? Oui, bravo Eliaz. On va aller loin avec ça. « Effectivement… » souffla-t-elle.

Il enchaîna rapidement avec un semblant de compliment à propos de ses dessins, ce qui eut pour effet de détendre légèrement le visage d’Isabelle. Les compliments étaient l’un de ses points sensibles ; surtout quand il s’agissait de son art. Accordez-lui un peu d’attention ou un mot gentil, et cela pourrait bien apaiser un peu son irritation habituelle. Du moins, pour un court instant. Faut pas déconner non plus. « Hum, merci. » grommela-t-elle sans pour autant afficher l’ombre d’un sourire. Elle ne parlait pas beaucoup ; elle ne savait pas vraiment quoi dire, et elle comptait toujours sur Caradec pour trouver une idée à sa place.

Enfin, l’idiot lui en proposa une. Répondre à cette dissertation avec un dessin… ? « Pourquoi pas. Je vais essayer. » répondit-elle sans y montrer beaucoup de conviction. Elle lui prit son affreuse plume des mains sans même lui adresser un merci, puis elle saisit son carnet pour y esquisser quelque chose. Mais quoi ? Pendant quelques instants, elle scruta les alentours à la recherche d'inspiration. Cependant, rien ne retenait son regard bien longtemps. C’est alors que ses yeux sombres finirent par se poser sur… Eliaz. Eh bien, il était juste en face d’elle, alors autant le dessiner même s’il faisait un bien piètre modèle. « Bouge plus Caradec. » Isabelle plongea immédiatement la plume dans l’encrier qu’Eliaz lui avait fourni, puis commença à tracer quelques courbes sur sa feuille.

ELIAZ &
ISABELLE

Isabelle leva son regard vers le plafond de la bibliothèque à la vue d’un Caradec si heureux ; une véritable vision d’horreur à ses yeux. Elle l’esquissa rapidement, si rapidement qu’elle n’était pas du tout satisfaite de ce qu’elle venait de dessiner. Ou alors c’était peut-être simplement son sourire… Oui, c’était sans doute ça.

Isabelle arracha donc d’un coup sec la page sur laquelle elle venait de faire son croquis et fixa Eliaz plus intensément qu’elle ne l’avait jamais fait. La joie du garçon fut bien vite remplacée par une angoisse évidente, et soudainement, ce piètre modèle devenait bien plus intéressant. « Euh… attends. Pause, pause ! » Isabelle soupira lourdement. « Quoi !? » Et ça y est qu’il bougeait tel un asticot sur son fauteuil, marmonnait tel un mioche et tentait de se recoiffer désespérément alors que c’était clairement peine perdue. Au bout de quelques traits tracés, elle en eut marre de faire face à un modèle absolument incapable de poser comme il faut. Elle se leva donc, posa une main sur la tête mal coiffée de Caradec et appuya d’un coup sec pour qu’il se pose enfin sur son siège et qu’il reste en place. « J’ai dit : bouge plus, Caradec. » grommela-t-elle d’un agacement manifeste. « C’est bon ? Je peux dessiner ? » Isabelle se réinstalla et continua d’esquisser ce même visage toujours aussi moche, mais immobile cette fois.

Cela ne prit que quelques minutes ; quelques minutes qui semblèrent sans doute une éternité pour Eliaz qui suait à grosses gouttes. Isabelle ne put s’empêcher de sourire, amusée. « Bon, tu m’excuseras mais t’as l’air… légèrement plus âgé, et un peu difforme aussi, j’ai pas pu faire mieux. Faut dire que la lumière ici est pas géniale pour dessiner. » Ce qui était totalement faux, bien évidemment. Elle savait faire des merveilles peu importe la lumière. Mais c’était bien trop drôle d’imaginer Caradec faire une syncope à la vue de la feuille qu’Isabelle était en train de tendre vers lui.

Tant pis pour la dissertation, ce sera pas pour aujourd’hui.

(en bonus, les dessins d'Eliaz... j'ai honte mdrrr)