But never on your sleeve, unless you wanna taste defeat

Trépignement sans grande placidité d’un des talons de babies en cuir cirées contre des gravillons demandant à être broyés jusqu’à les réduire en sable d’un temps qui se refuse à passer. Mais où est-ce que tu te trouves ? La langueur plus que la longueur de l’attente se joue de la pesanteur des silences, raille la répétition d’une douloureuse situation que trop connue depuis l’enfance pour la gamine qui repousse l’immobilité, du moins physique, de peur de disparaître à son tour dans ce néant. Aux abords du stade étrangement vide, les prunelles avides s’occupent péniblement d’un rien, comptent le nombre de fanions accrochés aux guirlandes du trio de Principes, doucement bousculés par l’air sérotinal, relèvent la robustesse de la construction des tribunes ou sarclent de quelques battements de cils d’indésirables mauvaises herbes oubliées par les jardiniers. Les redécouvrant pourtant, paupières rouvertes, ramenant régulièrement l’expectative en direction des cabanons que tout mouvement parait avoir délaissé. Il devrait déjà être sorti ? Il n’est quand même pas parti ? Si ? Dans l'instant qui se perpétue, la patience la perd définitivement, autant que la pudeur feinte se plante juste là, tel un monument votif dédié à une fierté perdue, en lieu et place de sa propre présence. N’ayant pas assisté à la reprise des entraînements, d’avoir inlassablement potiné avec la plus loquace des commères bretonnes et de fait, omis d’annoncer sa venue à l’intéressé, la curiosité l’emporte fatalement sur une hésitation défaillante. Non sans s’être assurée de l’absence de toutes mirettes indiscrètes, le pas moins précautionneux la presse en direction de la bicoque sur la gauche. Le léger entrebâillement d’une vieille porte mal close cède sous le heurt, retenant un second cognement mais guère l’inclinaison de l’engager davantage. « Calixte ? », s’enquiert l’audace d’un éventuel vis-à-vis, « Tu es là ? », congédiant les convenances par l’excuse de la mixité des équipes en se faufilant dans les vestiaires du Soufre. Alignées de part et d’autre de l’entrée en couloir, donnant l’illusion d’une haie d’honneur, des coupes de formes et façonnages divers retracent la gloriole passée, là où les médailles et banderoles évolutives ne viennent pas décorer le mérite et les murs. De la franche camaraderie exsude des clichés de joueurs contenus dans quelques cadres, aisément amplifiée par une effluence d’efforts physiques et de chaussettes mouillées provenant de l’espace principal, que les sortilèges de Récurvite ne semblaient pas pouvoir faire partir, pas plus que l’aération de la pièce par des fenêtres rarement fermées ou la propreté de la fragrance des savonnettes. Figeant l’incongrue progression, la laissant momentanément interdite et pantoise, un sifflotement leste, résonnant guilleret depuis la salle, module le désaccord intérieur. D’accrocheuses croches cherchent à crocheter un palpitant se verrouillant davantage sous la vaine tentative. Merde… Se ressaisissant d’une expiration plus longue palliant aux échos de l’incertitude, seul le cou tendu passe furtivement la courbe du corridor, n’apercevant d'abord que des casiers d’acier et le début d’un banc. Pas de gorge tordue de l’oiseau chanteur à première vue, auquel l’impudence dédaigneuse de la Guimond se dévoile enfin, s’incrustant en ces lieux avec une désinvolture déconcertante, comme d’autres rentrent chez eux, bras croisés et raclement de trachée en guise de signalement d’arrivée.

 — Il les entendait d’ici, à chaque pas qu’il faisait, les hurlements en provenance de ses muscles qui résonnaient jusqu’à ses tympans, en passant crisper son visage de douleur. La reprise de la saison était plus que nécessaire. Son corps avait perdu l’habitude de ces mouvements, et il n’avait pas pratiqué le Botteballon depuis plusieurs semaines. Chaque année la même rengaine, chaque année la même remontrance personnelle et le fameux “putain mais t’es con” qui suivait les premières minutes de course.

Au fond, ça faisait du bien, quand même. Il leva le visage vers le ciel, respirant à plein poumon une brise fraîche qui passait par là, emportant avec elle un parfum d’herbe et d’iode, et ferma les yeux, profitant de cet instant de plénitude que l’on ressent après le devoir accompli. Là, transpirant au bord du terrain, étirant des ischio-fessiers râleurs, il prenait le temps. Il avait regardé ses camarades se diriger vers les vestiaires en les accompagnant d’un signe de la main, privilégiant la récupération sportive à la pile de devoirs à faire qui l’attendait dans la dépendance du soufre.

Balançant sa serviette sur son épaule droite d’un geste nonchalant, il lança un accio à sa gourde laissée un peu plus loin et dirigea ses pas traînants vers la porte des vestiaires face à lui. L’ambiance y était chaude, vestiges de discours de motivation hurlés avant les grosses rencontres pour couvrir la foule en liesse. Le sol, défoncé par les piétinements d’avant match, avait l’aspect d’une vieille orange oubliée dans un coin. Il jeta ses épaulettes sur un banc et s’affala à côté dans un soupir. Rincé.
Tout était déjà vide autour de lui, et le silence n’était brisé que par les gazouillis des oiseaux à l'extérieur qui nichaient sans doute dans les tuiles au-dessus de sa tête. Leur chant lui rappela un air qu’il chantait par chez lui les jours de fête, et il les accompagna d’un sifflement léger entre ses lèvres. Il entreprit de retirer son maillot qui pendait nonchalamment sur ses épaules, souillé par l'entraînement et les plaquages dans l’herbe sèche de cette fin d’été, quand un tressaillement sur sa nuque lui fit sentir une présence dans son dos. S’arrêtant de siffler net, il se retourna vers ce qu’il pensait être un camarade de terrain ayant oublié la paire de chaussures qui trainait un peu plus loin.

Tiens tiens tiens.

Une belle chevelure de jais, un petit nez droit et un regard à faire transpirer un glaçon, c’était assurément Ernestine Guimond qui se tenait là, bras croisés, comme si soudainement, c’était lui qui s’était incrusté dans son espace. Ce n’était assurément pas lui qu’elle était venue voir, ça il s’en doutait, et ce qu’il savait encore mieux, c’était que le galopeur à qui elle avait sans doute voulu rendre une visite fortuite s’en était allé galoper plus loin depuis bien longtemps. Un sourire moqueur étira les lippes du brun à la pensée que la jeune femme avait fait le pied de grue dehors en attendant, en vain.

“Dommage, n’est-ce pas ?”

La moue moqueuse se transforma en sourire carnassier, non loin de celui du lion triomphant sur sa proie. Patience. Il se tâta à finir ce qu’il avait entamé un peu plus tôt, à savoir retirer un t-shirt qui lui collait à la peau, comme il l’avait prévu avant d’être interrompu. Non. Il est trop tôt. Il abaissa les bras, préférant garder cette munition pour plus tard si cela devenait nécessaire.

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But never on your sleeve, unless you wanna taste defeat

Môme que le décorum de la société magique, incitant conventionnellement à la décence ou du moins à la discrétion, échoue de faire détourner du regard, autant que du lieu. Tout, de la personne absente, à celle présente avec son idiot sourire, dans le pire, voire le meilleur des cas le bon sens, aurait dû conduire à un départ aussi prompt que sa venue. Retenue par la provocation, se rassurent la fierté et le déni. L’inconvenance assumée, à laquelle elle a souvent pu assister, inspirée de certains habitués les plus huppés du Palace parisien n’éprouvant, entre autres exemples cocasses, ordinairement aucune gêne à inviter à une semaine d’intervalle mousmée et maîtresse, empêche depuis longtemps déjà ses joues de se farder de délicatesse devant pareille insolence. « Dommage ? », ses sourcils se haussent par la remise en question de la lexie employée sans en faire de même de la propre tonalité. Un attrait répudié, possiblement simplement la témérité, accapare puis attarde des avelines dans leurs semblables. Collision des cristallins. S’accrochant à ses iris de sorte à se donner une contenance, refusant de flancher, les pupilles sondent, cherchent à y creuser, plusieurs minutes durant, une place, voire une existence plus durable que la fugacité d’un focus éphémère. Ridicule tentative de vivre dans ses yeux sans que l’avenir ne finisse un jour par se noyer sous des paupières closes sur la réalité. De ce muet fracas ne subsiste rien. Rien que la lente chute : Des billes, quittant la figure du plaqueur au rictus jubilant bien trop tôt, afin de glisser avec une tranquillité calculée le long des contours de la carrure, dégringolant là où l’étoffe malmenée, maillot moiré de gazon qu’il relève mais ne retire, ne dévoile qu’en partie l’abdomen. Des bassesses ne manquent alors pas de s’échapper de sa bouche mise en relief par la brimade à venir, « Je dirais plutôt… », phrase en suspens, dérangée, à l’image de la vue sur ce ventre à nouveau couvert du vêtement qu’il laisse retomber, « décevant ». Si le sarcasme le rhabille pour l’hiver dès l’automne venu, lui tricotant peut-être même d’épaisses moufles au passage, tant l’expression se révèle soudainement mufle, le désaveu omet toutefois d’expliciter la raison véritable de son désappointement. Se gardant évidemment bien de préciser que ce dernier est très probablement multiple. L’exiguïté de l’endroit semble s’élargir à sa suite, identiquement à la vision reprenant sa recherche absurde. Intérêt persistant à désirer une interruption salvatrice par l’aîné des jumeaux de Wazières, à qui la fantasmagorie plus que l’optimisme peut encore espérer attribuer les souliers de sports restants. Lasse, un soupir peu contenu ramène les membres supérieurs le long d’un buste contrarié de la vexation subie, tandis qu’un semblant de savoir-vivre retient la poursuite de l’investigation de l’espace, l’irraisonnable se rapprochant plutôt que de s’éloigner, l’arrêtant à deux-trois enjambées de plus. « Je ne me rappelle néanmoins pas t’avoir demandé ton avis », affirmation de désintérêt qui se heurte contre les quenottes se resserrant sur une expression d’agacement. « Moi qui pensais que les joueurs du Soufre se donnaient à fond durant les entraînements, il reste visiblement toujours assez d’énergie à dépenser en insanités… »  

 — Il n’avait prononcé qu’une seule et unique phrase. Six petites syllabes qui avaient déclenché en elle une myriade de réactions, se concrétisant en une tirade venimeuse qui lui allait si bien. Il ne put s'empêcher de sourire. Ses mots résonnèrent dans sa tête, laissant une pointe d’amusement se mêler à son agacement.

“Et bien, je ne m’attendais pas à tout ça.” Le ton moqueur accompagnait un regard taquin. “Ah décevant tu dis ? Je suis désolé de ne pas être à la hauteur de tes attentes.”

Pas désolé du tout et savourant une victoire que seul lui voyait, il s’approcha d’elle d’un pas calme, réduisant encore l’espace qu’elle avait déjà entrepris de comprimer entre eux. Croisant les bras sur son torse, il la toisa de haut en bas.
Elle était plus petite que lui. Comme la plupart des gens, c’était un fait, mais être aussi près d’elle accentuait la chose. Il n’avait jamais vraiment remarqué à quel point elle était menue, et il se surprit à se demander ce que ça donnerait si elle était encore un peu plus proche de lui.
Mais Ernestine était connue pour son caractère de feu, et même s’il aimait la pousser dans ses retranchements, il n’était pas suicidaire pour autant. Il aimait juste voir sa fierté se heurter à sa propre insolence.

“Mais revenons à toi, Ernestine. Que fais-tu donc ici, à traîner dans les vestiaires ? Tu viens chercher un peu d’attention auprès des joueurs du Soufre ?” lança-t-il avec un sourire suffisant. “Tu sais, il y a d’autres façons de te faire remarquer que d’attendre bêtement devant.”

Armand laissa glisser son regard le long des murs, absorbant chaque détail de l’endroit qui lui était si familier. Les photos qui couvraient les murs s'étaient animées dès l’entrée d’Ernestine, captivées par cette interaction, ne pouvant résister à la tentation de la curiosité. Les coupes brillantes reflétaient faiblement la lumière qui filtrait à travers les fenêtres ouvertes, ajoutant à la chaleur de l’ambiance. Il jeta un coup d’oeil à son casier par dessus l’épaule de la jeune femme, marqué par les graffitis et les autocollants, témoins des multiples générations qui avaient foulé ces vestiaires. Ils étaient le sanctuaire où les rêves se façonnaient, où les liens se renforçaient entre coéquipiers, où les victoires et les défaites laissaient leur empreinte.
Il reporta son attention sur Ernestine, ses cheveux d’un noir de jais encadraient son visage. Il se rapprocha encore un peu plus d’elle, puis fit un pas de côté, se dirigeant vers son casier, frolant la jeune femme volontairement. Lui tournant le dos, il entreprit de récupérer des vêtements propres.

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But never on your sleeve, unless you wanna taste defeat

Risettes ridicules attirent pupilles comme pulsions indescriptibles vers des commissures campagnardes paraissant mettre entre des parenthèses dérangeantes d’amusement toute notion de temporalité. Un moment, non, même deux, l’attardent sur ces virgules du visage, ne sachant guère si cela leur vaut mériter un soufflet ou plutôt son souffle. A la main et aux muqueuses, l’esprit préfère finalement quelques mots condescendants, une banalité faisant pourtant toute leur différence : « Après tout, comment pourrais-tu un jour répondre à mes exigences ? », enfonce-t-elle d’une lapalissade se voulant - un langage qu’il devrait connaître - plus terre à terre que le plus grand des champs basques. Fauchant là toute germination d’ineptie sans les dépriver de la connivence d’une raillerie rhétorique. Tandis que l’espace se comprime, propice à la confidence, la poitrine se fait, elle aussi, plus exiguë face à cette intimité nouvelle, cette fois-ci initiée par le roturier. « Je m'ennuyais », admet la monotonie dans un tendre murmure, autant prête à demeurer, que sa détentrice ne s’éternise dans ce cabanon trop étroit pour leurs égos intumescents, « On ne peut pas dire que ce soit moins le cas à présent... » Le mensonge éhonté se voit même parfaire d’un époussetage de dégoût, évacuant d’un petit geste sec et snobinard l’absurdité de ce furtif contact, telle que la main aurait pu chasser une irritable mouche imaginaire de la partie du corps effleurée par son passage. Pendant que le sportif se détourne, afin de récupérer ses guenilles de rechange, l’étudiante ne peut se retenir de le scruter encore à la dérobée. « Alors éclaire-moi de ton plus intense Lumos, capitaine », la langue claque sur la fonction pour réduire la compétence à un simple sobriquet, s’attirant évidemment des regards courroucés, sermons oculaires d’anciens équipiers sur papier glacé, çà et là cloutés aux murs, à peine relevés, car sans grand intérêt. Il lui semble cependant si incongru et consternant que Calixte daigne en recevoir des ordres, ne serait-ce que pour une activité physique. La voix reprend de la coquetterie, « Qu'est-ce qui peut bien retenir l'intérêt d'un joueur du Soufre ? » Sans véritablement permettre une réponse quoiqu’attendue, les cordes vocales se tendent pour décocher une énième flèche, « S'agiter telle une groupie en bord de terrain en criant : "Mets-leur la même misère que celle tu as connu durant ton enfance !" ? », s’anime-t-elle sous l’imitation d’une de ces potiches gesticulant bien trop proche près des poteaux, de sorte à justifier sa présence intrusive, au moins aussi déplacée que certaines vaines approches du dernier mentionné : « Pour Delestre, je n'ai aucun doute que le simple fait de respirer soit suffisant », cela va de soi.  

 — L'air taquin persiste, même lorsqu'il récupère un t-shirt propre et l'enfile avec aisance. Les lignes espiègles restent gravées sur son visage. La conversation entre eux prend des allures d'une pluie fine, glissant sur la surface de leur échange sans pour autant refroidir l’atmosphère.

"Tu t'ennuyais ? C'est marrant, j'étais en train de me dire la même chose." Les yeux de couleur noisette pétillent de malice. "Quant à répondre à tes exigences, ma chère Ernestine, je ne suis pas sûr de vouloir prendre ce genre de responsabilité. Ça semble être une mission dangereuse."

Il se rapproche d'elle avec une aisance naturelle, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon. La démarche dégage une confiance décontractée, presque insolente, écrasant du talon toute réplique cinglante lui sautant à la gorge face à la pique méprisante d’Ernestine. "Mais passons à des sujets plus sérieux. Qu'est-ce qui retient l'intérêt d'un joueur du Soufre ?" La pause théâtrale s'accompagne d'un léger penchant de la tête. "Eh bien, les victoires, les défaites, l'esprit d'équipe, la camaraderie. Et puis, bien sûr, il y a les groupies qui nous encouragent avec tant de ferveur." Il se racle la gorge. ”Ferveur qu’on espère toujours retrouver quand on les voit arriver les soirs de victoire”

L’air s’électrise subtilement, transformant peu à peu la pluie fine en un orage grondant au lointain. Les yeux d'Armand glissent sur Ernestine, capturant chaque détail comme un artiste qui étudie la toile sur laquelle il s'apprête à peindre. La courbe de son cou semble porter la trace d'une fierté défiante, un mélange de grâce et de détermination qui attire l'œil. Son allure, bien que menue, exhale une force silencieuse. Chaque mouvement, chaque geste, semble imprégné de cette assurance subtile, calculée.

Et puis, il y a ce regard. Les pupilles d'Armand capturent l'éclat de cette fenêtre vers son âme, et il ne peut s'empêcher de se demander quels secrets se cachent derrière cette façade énigmatique. En cet instant, dans le sanctuaire des vestiaires, il réalise que la compétition ne se limite pas au Botteballon. Un jeu bien plus captivant se déroule entre eux.
Ne décrochant pas des yeux ce regard envoutant, le Capitaine s’assoit lentement sur le banc face à elle, la regardant ainsi d’en bas, lui offrant pour la première fois l’occasion de le toiser

“Et toi, tu saurais me dire ce qui retient l’attention de notre public ?”

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