Les chaussons froufroutaient contre le parquet, les tissus aériens des jupons virevoltaient au gré des mouvements plus ou moins gracieux des apprentis-danseurs. Si certains ressemblaient à des sangliers qui s’essayaient au ballet, d’autres se débrouillaient suffisamment bien pour ne pas réduire les orteils de leur binôme en compote. Certains faisaient même preuve d'élégance, se mouvant avec une grâce féline qui attirait aussitôt le regard.  

Et d’autres encore faisaient la gueule.

C’était le cas d’Eliaz Caradec, dont les yeux ne quittaient pas la chevelure brune et soyeuse de celle qui aurait présentement dû être dans ses bras, et non dans ceux de ce crétin (en toute bonne foi) d’Haruo (pfff) du Chesnes (gnagnagna). Qu'avait-il de plus que lui, d'abord ? Hormis un titre de noblesse ? Et une famille à la tête d'une sous-corporation vaguement plus raffinée que celle des Caradec ? Et une collection de chaussettes de toutes les couleurs ? Rien, strictement rien !

Le monde était injuste.

Kamala était SA partenaire de danse, pas celle de son séduisant, drôle et adorable meilleur ami d’enfance.

Pffff.

En bon étudiant mature qu'il était, Eliaz fit la moue et promena son regard parmi les frimousses de ses camarades, cherchant parmi elles un visage familier à alpaguer pour combler la frustration qui battait dans ses veines. Une figure ne tarda pas à attirer son regard — et quelque chose d’étrange remua au creux de son estomac, comme si le croissant qu’il avait ingurgité au petit-déjeuner avait soudainement décidé d’exécuter une série de loopings, au lieu de rester bien sagement au milieu de ses sucs gastriques oui c'est charmant.

Alors il s’approcha d’elle, attachant ses yeux à ses traits envoûtants, qui lui rappelaient ceux des tableaux qui les entouraient — peut-être parce qu’ils semblaient avoir été esquissés par le pinceau le plus fin qui n’ait jamais existé et qui s'était attelé à déposer de subtiles touches de couleur ça et là, contrastant joliment avec les mèches d’un noir de jais qui ricochaient autour de son visage délicat.

Eliaz s’ébroua mentalement. Le frère s’accaparait Kamala, alors pourquoi ne pourrait-il pas s’accaparer la sœur ? Voilà, c’était tout. Juste un échange de bons procédés. Ça n’avait rien à voir avec… ce charme indescriptible qui enveloppait Manami du Chesnes comme un voile translucide et l'attirait tel un papillon face à un fragment de lumière. Rien. Du. Tout.

Il lui tendit la main, plongeant ses prunelles dans les siennes. Un sourire qu’il espérait détaché (et pas niais) (Eliaz Caradec n’était JAMAIS niais) naquit sur ses lèvres.

“Hey, Manami. Tu es toute seule, je suis tout seul, alors… ahem… ça te dirait de faire équipe avec moi ?” Il tenta un clin d’œil. Il s’était beaucoup entraîné à faire des clins d'œil devant son miroir et il était à peu près certain de ne pas avoir l’air trop stupide. “Je te promets que tes pieds resteront intacts !”

Ft. Manami

Pando

Le club de Danse de Salon a toujours été celui, de ceux qu’elle a été obligé de prendre, qu’elle a préféré. Bien souvent parce que les gens ne voulaient pas vraiment danser avec elle. Ça lui avait toujours permis d’observer les autres et de regarder les émotions et sentiments des différentes personnes. Puis lorsqu’elle dansait, c’était bien souvent avec son frère. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il dansait avec Kamala. Peut-être avait-ce un rapport avec leurs présumés fiançailles ? Probablement. Ça laissait cependant Manami seule à observer, d’un coin de la galerie, les autres danser. Ça ne la dérangeait pas réellement, l’observation. Puis elle savait danser, depuis qu’elle savait marcher. Ce n’est pas le genre de mondanité que Claire laissait au hasard. Grand mal lui fasse de laisser l’une de ses nièces sans le don de la danse. Les cours avec sa tantine avaient été bien plus tortueux que les cours du club, entrainant parfois Manami à s’ennuyer lors de ceux ci.

Elle regarde avec attention Kamala et Haruo danser. Ils sont beaux ensemble. Ils vont bien ensemble. S’ils finissent par réellement se fiancer, puis par se marier, leurs enfants seront magnifiques, Manami le pressent déjà. Elle n’est pas réellement jalouse, elle est juste un peu envieuse. Son regard se décale et passe sur d’autres duos. Certains, elle le sait, sont en couple. La plupart ne le sont pas. Peut-être bien le deviendront-ils. Un jour. Puis finalement, son regard se pose sur les personnes seules. Sur ceux, ou celles, qui n’ont pas de cavaliers, ou de cavalières. Dans son esprit, elle forme les duos qu’elle imaginerait ensemble. Oui, ce garçon de la maison Feu irait probablement bien avec cette fille de la maison Air. Couple ? Probablement pas. Mais ils seraient beaux sur la piste de danse, ensemble.
Elle finit par arriver à la dernière personne seule. Elle le reconnait, bien sur qu’elle le reconnait. Eliaz Caradec. Lorsque Kamala ne danse pas avec son frère, c’est avec lui qu’elle danse. Elle sait qu’il ne se passe rien entre eux, mais Manami a toujours eu cette crainte que ce soit le cas. Haruo en aurait probablement le coeur brisé. Elle ne pourrait pourtant pas vraiment le lui repprocher. Eliaz… Eliaz a toujours été beau. Il a toujours attiré les regards. En tout cas, il a toujours attiré celui de Manami. Lui et sa présence, parfois presque extrême. Lui et a façon de parler et de s’agiter et juste d’être, souvent excessive. Il y a quelque chose de tellement différent d’elle, à l’autre côté d’un spectre, que ça l’intrigue. Que ça l’attire.
Oh bien sûr, rien ne sera jamais fait par rapport à ces ressentis. Rien ne sera jamais dit, rien ne sera même jamais montré. Les Caradec ne sont pas des nobles, et Chihiro lui a fait promettre de ne pas se lier même d’amitié avec un garçon qui ne soit pas au moins noble. Mais l’intrigue est là et parfois, Manami se surprend à l’observer pendant des minutes entières.

Alors lorsqu’il s’approche d’elle, lui tend la main, les yeux dans les siens et un sourire aux lèvres, Manami décide que ce que Chihiro ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. Lorsqu’il lui demande de faire équipe avec lui suivit d’un clin d’oeil, elle retient un sourire, s’autorisant à peine un léger hochement de tête. Lorsqu’il lui promet que ses pieds resteront intacts, elle se lève, la main de Caradec dans la sienne.

La voix froide, posée et égale, elle lui donne sa réponse, superflue. “Bien. Allons-y.”

Ft. Eliaz

Pando

Eliaz tendait la main vers Manami et, dans ce geste, le temps semblait suspendu.

Accepterait-elle son invitation ? Ou l’enverrait-elle sur les roses ?

Un seul mouvement et tout pouvait basculer. Un refus, et la fascination qu’éprouvait Eliaz à l’égard de Manami du Chesnes se prendrait un mur de plein fouet, s’y cassant les dents comme un troll qui aurait essayé d’embrasser son propre gourdin. Si elle acceptait, en revanche…

… alors tout un champ de possibles s’ouvrirait dans l’esprit fertile d’Eliaz Caradec, empli de rêveries que nourrissait son ascendant Sirène qui guidait traîtreusement les battements de son cœur, le ponctuant de Et si ?... qui le propulsaient quelque part près de la Lune, ou peut-être de Vénus, planète qui matérialisait toutes formes d'attachement.

Les yeux sombres – envoûtants – de Manami rencontrèrent les siens et la salive d’Eliaz peina à trouver son chemin jusqu’à son œsophage. L’instant d’après, la main de la jeune femme rejoignit la sienne et un sourire illumina le visage de l’étudiant de l’Air. Son autre main trouva la courbure de ses reins, s’enfonça délicatement contre les plis de sa robe pour rapprocher son corps du sien, rognant très légèrement sur la distance de sécurité qu’imposaient les règles de bienséance. La soif de contact d’Eliaz peinait à s’accorder avec la sagesse guidée par leurs rangs respectifs, mais il ne voulait pas brusquer sa partenaire.

La musique s’éleva ; une valse, sage et aérienne.

« Dis-moi si je fais quelque chose qui te dérange » dit Eliaz en pressant plus fort la hanche de la jeune femme. Autant Kamala et lui étaient habitués aux gestes de l’autre, autant Manami était un voyage en terre inconnue, et il ne voulait surtout pas manquer de délicatesse à son égard. « C’est bizarre, hein, la danse ? » ajouta-t-il en essayant d’adopter un ton léger, alors qu’il faisait lentement tournoyer Manami contre lui, leurs visages à deux doigts l’un de l’autre. « Dans n’importe quelle autre circonstance, ce serait super bizarre qu’on se retrouve comme ça et nos familles en feraient tout une histoire, alors qu’on ne fait rien de mal. » Il rit un peu nerveusement, rougissant sans vraiment savoir pourquoi sous le poids du regard de jais de Manami. Il s'éclaircit la gorge : « Tu… tu as peut-être une danse préférée ? Quelque chose que tu aimes en particulier ? » Il n’avait que trop rarement l’occasion de parler à la jeune femme, il ne voulait pas en perdre une seconde. « En tout cas, la valse te va bien... tu es très belle, tu sais ? »

Ft. Manami

Pando

Manami est habituée aux faux semblants. Elle est habituée à ce que les gens soient heureux de passer du temps avec elle. C’est rarement parce qu’elle est Manami pourtant, bien plus souvent parce qu’elle est une du Chesnes. Elle reconnaît les sourires véritables et ceux qui sont travaillés. Elle reconnaît ceux qui sont forcés et ceux qui sont instinctuels. Le cercle autour de Manami est aujourd’hui empli de travaillés et de forcés puisqu’ils sont ceux avec qui elle est censée se mélanger. Les véritables et les instinctuels sont rarement nobles et elle n’a souvent pas le droit de les fréquenter. Ils sont rares, aussi. Après tout, Manami est une princesse de glace et pas du genre à qui on a envie de sourire. Rares sont ceux qui sont récompensés par un sourire en retour et bien nombreux sont ceux qui sont répondus par une moquerie insensible.
Pas Caradec. Pas Eliaz. Eliaz, elle aurait envie de lui répondre. De lui rendre un sourire aussi radieux que le sien. Son sourire est communicatif. Manami doit forcer sur sa mâchoire pour se retenir de lui sourire.
Lorsque sa main se pose sur le creux de ses reins, elle baisse légèrement les yeux. Ce n’est pas la première fois qu’un homme la touche de cette manière là, après tout elle est habituée aux danses de salon. Pourtant, quelque chose semble différent. C’est léger et elle n’arrive pas à vraiment mettre le doigt dessus mais quelque chose semble inhabituel, neuf dans l’expérience. Il la tire, l’attire, vers elle et Manami se rend bien compte qu’ils sont probablement quelques centimètres plus proches qu’ils ne sont censés être. Quiconque d’autre aurait pris cette initiative aurait probablement fini maudits pour trois générations. Pas Eliaz. Elle fuit son regard, ne sait pas trop où poser ses yeux. La bienséance, son éducation en générale lui permet de ne pas se relâcher, fuir ou même rougir mais il semblerait que le regarder dans les yeux nécessite plus de contrôle sur soi qu’elle n’en a.

La musique qui démarre semble être une valse. Manami a toujours beaucoup aimé les valses. Elle aime les rythmes tertiaires et le côté volant de la danse lorsqu’elle prend de la vitesse. Ce qui est rarement le cas lors des soirées mondaines, les gens préférant rester dans quelque chose de plus non chalant.

Il parle, lui demande de lui dire s’il fait quelque chose qui lr dérange. Manami ose retrouver ses beaux yeux et hoche la tête, presque sèchement. Elle sent la pression sur sa hanche de durcir et ça la dérange bien moins qu’elle ne l’aurait pensé. Elle oserait même peut-être avouer que ça lui fait du bien, cette main masculine sur sa hanche, même à travers ses habits. Il reprend la parole et Manami réfléchit à ce qu’il dit. Bizarre, la danse ? Oui, peut-être bien. Elle n’a pas encore ses arguments et la danse pourrait paraître bizarre à plein de gens pour plein de raisons différentes. Étonnemment, Manami se trouve intriguée par les raisons pour lesquelles Eliaz trouve la danse étrange. Puis il parle. Alors que Manami est d’accord, quelques mots innocents lui donnent envie d’arrêter de danser et de pleurer. Il a tord. Même si ce n’est que de la danse… Si Claire apprenait que son compagnon de danse n’était qu’un simple bourgeois, elle en ferait toute une histoire. Probablement elle irait voir les Caradec et leur ferait promettre de s’assurer qu’Eliaz n’approche plus jamais sa petite fille sans quoi elle s’arrangerait pour prévoir leur ruine. Il rit. Manami n’a pas envie de rire. N’a même pas envie de sourire malgré la communication de son rire si joli.
Il s’éclaircit la gorge et reprend la parole. Est-ce qu’il se force à faire la conversation ? Peut-être bien qu’elle le met tellement mal à l’aise qu’il ne peut pas s’arrêter de parler et de vouloir remplir le silence. Pourtant il rougit. Manami est peut-être pas habituée aux jeux de la séduction mais elle sait ce que ça veut dire, lorsqu’un garçon rougit.

Il lui demande quelle danse elle préfère. La valse. Elle ne sait pas bien quoi ou comment lui répondre. Elle trouve la conversation gênante presque. Ce besoin qu’il semble avoir de remplir le silence. Ça ne devrait probablement pas la surprendre, après tout, c’est Eliaz Caradec. Elle ne fait que tourner les yeux vers le côté, le visage relaché, bien moins fermé qu’au début de leur danse. Les mots qu’il dit ensuite ramène vite ses yeux sur ceux du garçon, probablement bien plus écarquillés que ce que quiconque à l’école aurait pu avoir l’occasion de voir. “Je… Pardon ?” Elle baisse les yeux, les joues qu’elle sent un peu plus chaudes que précédemment, probablement un peu plus rouges. “Merci…” qu’elle lâche doucement. Elle finit par se reprendre, vite. Vite, avant que quelqu’un ne note son désarroi. “Tu es… très charmant toi aussi.” qu’elle finit par lancer après un raclement de gorge léger.

Ft. Eliaz

Pando

Eliaz peinait à comprendre les sentiments qui pouvaient agiter le cœur de Manami du Chesnes. Dans son univers, les émotions étaient brutes de décoffrage, elles s’exprimaient sans ambages ni crainte des conséquences. Ainsi, le cadet Caradec exprimait ses sentiments tels qu’il les ressentait, sans chercher à les masquer ou à les réfréner, les balançant comme des pierres qui ricochaient contre la surface paisible d’un lac en y imprimant des arabesques mystérieuses, inconscient des troubles qu'il pouvait provoquer.

Aussi, il ne pouvait comprendre à quel point sa remarque, prononcée dans la spontanéité du moment, avait pu troubler sa partenaire. Il ressentait pourtant, confusément, l’hésitation de la jeune femme, sans pour autant bien comprendre son origine. Il craignait seulement d’avoir parlé trop vite, comme il en avait – malheureusement – l’habitude. Il ne voulait pas l'effrayer, ni la braquer ; seulement lui communiquer l'émerveillement qu'elle exerçait sur lui...

Mais à son grand soulagement, elle lui retourna son compliment, et la pression se relâcha dans sa poitrine. Un sourire chatouilla ses lèvres, alors que ses prunelles cherchaient à s’attacher à celles de la jeune femme, à se perdre dans leur immensité fascinante. Elle avait rougi, semblait-il, mais Eliaz ne l’en trouvait que plus charmante. Il y avait quelque chose de touchant, dans cette gêne pleine de grâce qui émanait d’elle.

Il prit tout de même garde à ne pas trop raffermir la pression de ses mains contre son corps, luttant contre son envie de s’approcher encore d’elle, de sentir son cœur battre au rythme des frôlements impromptus que leur imposait la valse dont les notes semblaient se resserrer autour d’eux.

« On pourrait peut-être… répéter hors du club » suggéra Eliaz en faisant doucement tourner Manami entre ses bras, ses doigts se mêlant aux siens avec, peut-être, plus de pression que n’en nécessitait la danse. « Juste toi et moi… pour faire davantage connaissance ? » Il se rapprocha d’elle. Cet instant-là était probablement le seul, de toute la chorégraphie imposée par la valse, durant lequel leurs visages étaient aussi proches. Eliaz ne put s’empêcher de sourire, appréciant probablement davantage ce moment qu’il n’aurait dû – mais il s’en moquait éperdument. Il était trop obnubilé par la présence de la belle Manami pour songer à l'image qu'ils pouvaient renvoyer, elle et lui. « Je suis sûr que tu aurais quelques astuces à m’apprendre pour être aussi élégant que toi ! » Ils refirent un tour sur eux-mêmes, la main d’Eliaz revenant se poser sagement contre la hanche de la jeune femme. « Et en échange, je pourrais t’apprendre d’autres genres de danses, des trucs qui ne sont pas au programme du club… » La musique ralentit, Eliaz se pencha vers Manami, supportant son poids entre ses mains qui formaient désormais un maillage serré au niveau de sa taille. « Si tu me fais confiance, bien entendu » se sentit-il obligé de dire avec un sourire en coin, décochant un nouveau clin d’œil à la jeune femme. «  Mais je peux t’assurer que tu ne le regretteras pas ! »

Ft. Eliaz

Pando

Manami est habituée aux compliments. Manami sait qu’elle est belle. En tout cas, on le lui a toujours dit. Sauf Claire. Parce que pour Claire, elle a toujours été trop quelque chose, ou pas assez autre chose. Mais Haruo, Kamala, Chihiro, même ses parents parfois, puis toute l’entièreté de l’école le lui a toujours dit : Manami est belle. Elle est habituée à l’entendre, à répondre des “merci” polis.
La différence cette fois-ci, c’est qu’elle ne s’y attendait pas. C’est que la situation ne s’y prêtait pas. C’est que, quelque part, pour une raison inconnue, elle porte de l’intérêt à ce que le porteur du compliment pense réellement d’elle et de son physique. Est-ce que je lui plais ?
Elle ne réciproque jamais, non plus. On lui a apprit à être polie, mais pas à être gentille. Au contraire, on lui a plutôt appris à ne jamais valoriser des gens qui ne sont pas supérieurs en rang ou en statut qu’elle ; Valoriser ses professeurs, oui, mais pas les rares spécimens qui font partis de la rotures - non eux il faut leur faire comprendre qu’ils n’ont rien à faire là et les ignorer -, valoriser les autres nobles, bien entendu, toujours - les relations diplomatiques sont importantes et avoir de bonnes ententes avec des familles qui pourraient être utiles est un devoir - mais les bourgeois ou ,que Merlin nous en préserve, la roture, un simple merci de la princesse des glaces est amplement suffisant - avec un petit suppliment pour la roture d’air disatisfait de leur présence même sur cette terre.

Là, la situation est différente. Là, le compliment la touche sincèrement. Là, le compliment semble compter. Elle ne comprend pas bien pourquoi. Peut-être la personne qui le lui offre. Peut-être la situation choisie bien aléatoirement. Peut-être qu’elle s’est réveillée avec une capacité à feindre l’inintérêt moins élevée ce matin.
C’est probablement pour ça que malgré le non titre du fils Caradec et sa réaction pourtant exercée des milliers de fois, elle ne s’arrête pas au merci et lui rend son compliment.

Le sourire qu’il lui rend la prend de cours, pas assez pour autant pour qu’elle le lui fasse comprendre. Elle ne lui offre pas même de sourire en retour, considérant ses limites de gentillesse autorisée par la Marquise déjà largement atteinte.
À la place du sourire, elle lui offre son regard. Des yeux d’une nouvelle assurance, d’un noir profond.

Vient alors de la part de son cavalier, une proposition à laquelle elle ne s’attendait pas. Il est surprenant, c’est chose sûre. Il l’étonne de phrases en phrases, de gestes en gestes. Il ne la laisse pas s’enfermer dans cette valse qu’elle aime pourtant tant, non, il lui parle et lui dit des choses, lui propose des choses presque indescentes pour qui ils sont, lui et elle.
Répéter hors du club ? Eux deux ? Seuls ? Presque, Manami se demande s’il a quelque chose derrière la tête, quelque chose de malfaisant. Elle ne connaît Eliaz que de rumeurs et de vue - et quelle vue - de ce qu’elle en sait, il n’est pas malfaisant, ni néfaste. Loin de là, même. Maladroit, surtout, si elle en croit son frère et Sélène, la cousine d’Eliaz.

Elle laisse sa réponse en suspens, alors que les sensations de leurs doigts entrelacés la menacent de la faire de nouveau rougir, de nouveau détourner les yeux.
Faire d’avantage connaissance s’ajoute à la proposition et Manami ne peut s’empêcher de regarder ailleurs. Pas par gêne, plus par peur. Elle se demande s’il se rend compte du danger qu’ils courent, elle et lui, si quelqu’un venait à entendre ses mots.
Son regard retourne vite vers lui lorsqu’il la ramène contre son corps, un peu plus fort, au moment opportun de la chorégraphie. Que Merlin lui vienne en aide. Elle n’est pas prête pour cet influ d’émotion. N’a aucune sorte d’idée de comment le contenir.

Les yeux de nouveaux dans les siens, alors que leur danse continue, descendant parfois de quelques centimètres, imperceptibles, pour observer ses lèvres bouger lorsqu’il parle. Manami ne peut s’empêcher de se demander si réellement, oui ou non, ce serait dangereux. Il faudrait, bien sûr, qu’Eliaz soit plus discret qu’il ne l’est aujourd’hui et qu’elle le soit, elle aussi. Ils ne sont pas dans le même dortoir et faudrait donc qu’ils trouvent un endroit secret, rien que pour eux… Est-ce que c’est vraiment envisageable ? Oh. Oh, Manami en a envie. Vraiment, vraiment envie. Ne serait-ce que pour le découvrir plus, l’observer plus. Le voir plus.
Il parle d’élégance, de lui apprendre, et de la remercier en lui faisant découvrir d’autres choses, qui ne sont pas apprises au club. Quels genre de choses ?
Il lui parle de confiance. Manami ne fait pas facilement confiance. Eliaz… Eliaz pourtant lui donne envie de lui faire confiance. Comme si c’était simple, évident.
Oui. C’est ça. C’est pour ça qu’elle est perturbée. Aussi étonnant soit-il, aussi bousculantes soient ses remarques, Eliaz semble être à ses yeux comme une sorte d’évidence.

Elle positionne ses mains sur ses épaules et lui laisse entrapercevoir un léger, à peine visible, sourire avant de hocher la tête presque imperceptiblement. “J’attendrais ton pigeon, dans ce cas ?” qu’elle lui demande, sourire éphémère déjà disparu, le visage de nouveau fermé, froid, ses yeux noirs seuls traitres de l’intérêt, du bonheur, qu’elle ressent en l’instant.

Ft. Eliaz

Pando

Les yeux de Manami étaient des puits impénétrables. Des puits dans lesquels Eliaz se noyait avec délice, fasciné par la noirceur des prunelles et les mystères qu'il imaginait frémir sous les interminables cils d’encre.

Elle semblait pensive. Lointaine, semblable à une bourrasque qu’il aurait tenté – vainement – d’enfermer entre ses poings. Une véritable Fille de l’Air que l'étreinte de ses doigts ne parvenait pas à capturer, en dépit des rapprochements inopinés qu’imposait leur danse. Ses mains avaient beau effleurer ses hanches, caresser ses omoplates sous l'onde des mèches brunes, se nicher contre ses reins, elle était toujours insaisissable, et cela ne faisait qu’attiser la curiosité et la fascination d’Eliaz.

Manami était belle. Manami était l’Interdit.

Et le Caradec ne pouvait que se laisser prendre au piège, attendant une réaction de sa part, une porte entrebâillée jusqu’au cœur qu’il rêvait de découvrir. La noblesse de la jeune femme ne parvenait qu’à augmenter son intérêt car à ses yeux, elle était semblable à une princesse, et quel homme aurait pu résister à la plus belle princesse de Beauxbâtons ?

Certainement pas lui.

Et alors, le miracle se fit – car un sourire charmant, envoûtant, illumina brièvement le visage de Manami, et ce fut comme un feu d’artifice dans la poitrine du Breton - ou la fest-noz avant l'heure. L’expression redevint très rapidement lisse, telle une huître se referment sur la perle qu’elle abritait jalousement, mais Eliaz s’en moquait : Manami lui avait souri, elle avait accepté à demi-mot de le voir hors du club de danse, et cela suffisait à son contentement.

« Un pigeon ? Tu mérites une colombe. La plus belle colombe du pigeonnier. » Sa main osa se redresser, replacer une mèche rebelle derrière son oreille, dans un geste doux qu’il pouvait toujours mettre sur le compte de leur chorégraphie – mais il ne put s’empêcher de rougir alors que la pulpe de ses doigts frôlait la joue veloutée de la jeune femme

Ils tournèrent l’un contre l’autre une dernière fois, la musique ralentissant pour laisser place au bruit des semelles de chaussures qui couinaient contre le parquet brillant. « J’ai hâte de te revoir… on va bien s'amuser, tu verras ! » murmura-t-il dans le creux de son oreille, humant à pleins poumons le parfum de ses cheveux alors que ses mains pressaient les siennes à regret, la dernière note de la valse résonnant autour d’eux avec une douceur qui avait des échos de regret.

Ft. Manami

Pando

Elle peut pas s’empêcher de penser à tous les stratagèmes qu’elle devra mettre en place pour que ni Chihiro, ni Kamala, ni Haruo, ni personne d’autre vraiment, ne se rende compte qu’elle reçoit des pigeons de quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Quelqu’un que Claire n’a pas validé. Quelqu’un qui n’est pas non plus un élève avec qui elle doit travailler. Après tout, même eux, Claire doit les valider avant que Manami ne puisse correspondre avec elle. Alors elle réfléchit.
Peut-être qu’elle devrait prendre les devants et parler d’Eliaz à sa tantine et lui expliquer qu’ils doivent se retrouver pour un projet d’école ? Elle pourrait essayer de lui mentir et trouver quelque chose qui puisse fonctionner. Après tout, la vérité est pas bien différente. C’est pas un projet, mais des cours particuliers. Et c’est pas vraiment un projet d’école mais la danse de salon.
Avec un peu de chance, c’est quand même assez proche pour que le mensonge passe.

Elle sait que la danse est sur le point de se terminer. Elle a pas envie. Elle aimerait que cette danse dure bien plus longtemps que ça. Elle connaissait Eliaz avant mais elle a l’impression de l’avoir redécouvert. Elle a l’impression que quelque chose s’est passé. Ou plutôt s’est déclanché.
D’habitude, elle danse avec son frère et Eliaz danse avec Kamala. Ils ont jamais vraiment eu l’occasion de se toucher comme ils l’ont fait là.
Pas que Manami ait trop la possibilité de toucher des gens de façon générale.
Après tout, à chaque fois qu’elle touche un homme sans aucun contexte qui l’oblige, ça lance toujours un scandale, des rumeurs et ça se répercute en général sur elle lorsqu’elle rentre à la demeure du Chesnes lors des vacances.

Lorsqu’il se remet à parler, elle se dit qu’il dit juste les choses comme ça, pour faire genre. Elle ne mérite pas une colombe. Puis, elle qui veut rester discrète, une colombe ne serait probablement pas le plus juste des choix. Elle ne réagit pas mais a un léger mouvement de recul lorsqu’il lui replace une mèche derrière l’oreille. Son regard est fuyant et presque paniqué lorsqu’elle regarde autour d’elle si quelqu’un a vu le geste, l’affront, que le jeune Caradec vient de faire, sans même probablement se rendre compte de la gravité de la situation.
Elle se rassure lorsqu’elle voit que tout le monde est bien trop préoccupé par sa propre danse pour se mêler de la sienne.
“Bien que l’attention soit touchant, un pigeon banal, comme reçoivent tous les élèves de Beauxbâtons serait, il me semble, plus judicieux.”

Il finit par lui dire qu’ils vont s’amuser et qu’il a hâte de la revoir.
Et elle mentirait si elle disait que ce n’était pas aussi son cas. (Ou que son souffle chaud, juste au niveau de son oreille ne l’a pas fait frissonner).
“Je n’en doute pas. Je suis pressée de te revoir aussi.”

Finalement, lorsque les dernières notes retentissent, elle s’écarte, le salue, et retourne s’assoir à sa place pour les dernières minutes du cours. Minutes lors desquelles elle n’a plus l’occasion de croiser son regard et lors desquelles Haruo lui lance des regards de plus en plus suspect à chaque fois qu’elle essaye.

Ft. Eliaz

Pando