Haruo du Chesnes ! Haruo du Chesnes !

Tel un papillon vers la flamme, l’identité scandée l’attire. Il s’interroge bien sur la raison qui pousse quelqu’un à le hurler ainsi mais il se sait provocateur d’émoi alors… alors pourquoi pas ? Une décision malheureuse (ou pas ?) que celle de descendre quelques marches en dehors du dortoir où il lisait sagement (un peu trop) pour voir ce qui se passe. Il a déjà enfilé son pyjama, ce qui n’enlève rien à son agaçante beauté. Ses pantoufles épaisses et rembourrée de fausse fourrure paraissent adorables plutôt que ridicules.

Tout s’enchaine ; une tête connue le percute, lui conseille de s’enfuir, pendant qu’un professeur dont il identifie enfin la voix -et qu’il n’apprécie pas du tout- le poursuit.

— Ah non, pas cette fois Raphaël !

Et le voilà qui course son ancien compagnon de jeu pendant que l’enseignant le poursuit, lui ! Ce coup-ci, Haruo se le jure, il éclaircira le qui pro quo et contraindra ce raciste patenté à admettre son erreur. Comment réussir à les confondre encore ? Depuis la rentrée, Haruo est blond et il prend soin de ne plus afficher de tignasse noire, justement parce qu’il sait très bien ce que ça peut lui rapporter… Et même avant cela, ils ne se ressemblent pas. Ils partagent la même origine, voilà tout, mais rien dans leur visage ne rappelle l'autre.

Et je suis plus beau.

Haruo du Chesnes ! Haruo du Chesnes !

Ça en devient gênant, se dit-il, pourtant la voix s’amenuise, s’essouffle, abandonne. L’homme lui tombera dessus au matin, à moins qu’il ne se mette en embuscade devant sa chambre ? Dans moins de dix minutes, il sera en tort, peu importe ses raisons…

Ça se termine ce soir !
Une résolution raffermie par sa main qui agrippe l’épaule de Raphaël, l’obligeant à arrêter de courir. Ses pantoufles le font trébucher, Haruo se rattrape à son tourmenteur qu’il plaque malencontreusement contre une colonne. Essoufflé, il le tance :

— Qu’as-tu encore fait que tu essaies de m’imputer ? Oh !

Il distingue la marque de rouge à lèvre sur sa joue et rougit, détournant les yeux, gêné et en colère, en colère d'être gêné, aussi.

— Tu exagères !

( C’est pas moi, j’ai un alibi, j’étais au Botteballon ) Tu ne prêtes pas attention à ce qu’Haruo babille, t’es trop occupé à détaler. Ce que tu ne peux ignorer, cependant, c’est le boucan qu’il fait en essayant de courir avec ses pantoufles. Mais qu’fiche-t-il dans les couloirs en pyjama ? Et pourquoi il n’y a jamais d’adultes dans le coin quand ce sont les gars comme lui qui enfreignent le somptueux dress code de l’académie ? Et autre question importante : il ne voudrait pas s’enfuir plus loin ? La voix du prof finit par s’affaiblir, mais tu passes encore quelques couloirs par sécurité. Manque de bol, Haruo te prend en traître : uniquement parce que tu ne t’y attendais pas, il réussit à te chopper. Sauf que cette andouille trébuche comme une gourgandine devant un duc et se rattrape sur toi – non sans t’éclater la tête contre une colonne au passage. Aïeuh ! Mais il est MALADE ! Haruo se met à te gronder, et tu pâlis un peu. Sapristi ! Depuis quand est-il au courant de ton fin stratagème ? (C’était temps qu’il capte, remarque.) Mais s’il sait, comment ça se fait que tu n’es pas encore collé à vie ? Il détourne le regard en premier, et tu te sais vachement impressionnant, mais quand même… T’as un truc entre les dents, ou quoi ? Il parait fâché, mais t’en fait un peu fi. Les riches, c’est comme les profs, ça s’énerve toujours pour rien. — Tu exagères ! Qu’il râle. — C’est toi qui exagères ! T’es tout rouge et essoufflé après avoir couru trois mètres ! C’est trop la honte ! Faut te mettre au sport, c’est critique ! T’as répondu du tac au tac et t’espères bien qu’il se remettra en question. Sérieusement, c’est ça l’élite du royaume ? Non seulement, t’es le plus beau, t’es le plus grand (d’un chouilla mais ça compte), mais en sus, t’as certainement les meilleurs abdos. Et toc, le Du Chesnes. La courte conversation était bien désagréable comme il faut, il est donc temps pour toi de filer. Tu as des choses à faire (rien en particulier), des endroits où tu dois être (ailleurs qu’ici), des gens que tu dois voir (du genre, pas lui). — C’était super de te croiser, hein, mais le temps passe. Un dernier sourire de crétin, et c’est avec un joli coup d’épaule que tu te dégages en t’esclaffant. Aussitôt libre, aussitôt en fuite. Le nobliau n’a aucune chance contre l’athlète que tu es. Tchao, Haruo !

( Pando )

Lancer de dés:

Soufflé par le culot de son vis-à-vis, Haruo le regarde, interloqué, la bouche en un « O », outré. Sa condition physique se porte merveilleusement bien, merci beaucoup ! Ah, il en a des choses à lui dire, sur le sujet ! Certaines moins avouables que d’autres... N’empêche, en tant qu’excellent danseur, il n’a aucun problème de souffle. S’il rougit, c’est pour autre chose, et s’il peine un peu, c’est uniquement à cause de ses pantoufles, peu adaptées à la course.

Le noble n’en a pas fini, hélas l’agaçant… condisciple ne veut rien entendre. D’un coup d’épaule qui laissera un bleu sur sa magnifique peau pâle (quel outrage !) voilà Raphaël qui s’enfuit.

— Oh ça, tu rêves !

Haruo a déjà dégainé sa baguette, dont il ne se sépare jamais, même pour dormir. Il vise le fuyard et crie « LOCOMOTOR WIBBLY » avec un peu trop d’enthousiasme et de plaisir sans doute à la perspective de le voir s'effondrer, peut-être de s'exploser le nez sur le marbre froid du couloir, mais il restait entre ces deux-là quelques comptes à régler…

CHANCE : échec.
(je parie que Raphaël a trafiqué les dés !!)

Malheureusement, cibler une personne en mouvement n'a rien de simple, surtout dans un aussi large couloir, avec une visibilité moindre, en pantoufle (si, ça a un lien). Bref, soit Raphaël bloqua son maléfique, soit il l'esquiva, en tout cas Haruo est obligé de se remettre à courir par crainte des conséquences s'il faisait demi-tour sans son voleur d'identité sous la main.

— Ah, quel lâche tu es ! Décidément, tu ne changes pas, toujours à fuir devant les plus puissants que toi !

C'était gros.
Et un coup de poker.
Mais Haruo ne sous-estime jamais la puissance d'un ego blessé. Lui-même avait parfois fait des choix malheureux pour cette seule raison.

Ah !
Il le savait que son plan fonctionnerait. Il le connaissait, Raphaël, depuis le temps. Lui, son ego (l’hôpital qui se fout de la charité) et tout le reste… Alors quand il le vit s’arrêter, de retourner, le toiser, il lui sourit largement d’un air triomphant et s’avança jusqu’à se retrouver face à lui.

— Pas besoin de boire pour souligner les évidences ! Réglons nos comptes puisque tu continues à chercher les ennuis en t’attribuant mon nom.

Haruo le déclara avec emphase, en le toisant alors même que Raphaël le dépassait en taille. Ça n’avait pas grande importance, lui le surpassait partout ailleurs.

— Je comprends que tu sois jaloux, continua-t-il avec un ton plus bienveillant (et un brin condescendant sans doute, malgré lui) je suis plus intelligent que toi. Plus cultivé. Plus attirant. J’ai davantage de succès et un nom à particules qui signifie quelque chose dans ce monde. Ma réputation ne doit pas être salie par tes excès. Essaie au moins de les cacher… Sois un peu plus digne, Raphaël.

Il tendit sa baguette vers la marque de maquillage, l’agita vaguement et tapota celle-ci d’autorité afin qu’elle s’efface. Puis il le toisa, persuadé qu’il ne restait à Raphaël la solution d’afficher un air penaud et navré. On peut toujours rêver…