Un focifère, en liberté dans l’académie. Tristan, pourtant généralement calme et placide, avait envie d’étrangler l’élève qui avait eu l’idée de « lui piquer quelques plumes, pour fabriquer une potion de coloration ». Un usage méconnu des plumes de l’animal, en repos à l’académie après que le vétérinomage l’ait trouvé blessé dans les environs de Beauxbâtons, que le plaisantin connaissait visiblement. Résultat, l’animal, pas agressif, se trouvait en liberté à échapper au trouble-fête. L’adulte avait confié le centre de soin animalier à un collègue, temporairement, lui citant les noms de Raphaël Delestre et Esther Béguin, s’il avait besoin d’aide – quelles que soient les tâches. Il signalait par-là qu’ils pouvaient être chargés des plus ingrates mais, surtout, qu’il leur faisait confiance en cas de tâches délicates. Malgré leur mésentente, qu’il feignait d’ignorer.

En attendant, il devait se dépêcher de suivre les traces du volatile. Malheureusement, même si c’était plutôt heureux dans son cas, l’animal malmenait perdait son plumage coloré du fait de la détresse provoquée, le rendant plutôt facile à suivre. Peut-être aurait-il dû prendre un balai ou un cheval ailé pour le suivre plus aisément, mais il était trop tard pour ça, même s’il tenta tout en courant un petit accio balais de l’école, amusé à l’idée qu’un élève en cours se retrouve privé du sien.

Il courrait déjà depuis plusieurs minutes quand il perdit totalement la trace d’Hector, à l’orée du bois d’Houquière. Il devait voler, et sûrement les plumes se confondaient dans les feuilles des arbres, les dissimulant ainsi à la vue de Tristan. Soupirant, il entendit un sifflement étrange derrière lui et sourit en voyant le balai volant ! Parfait. Peut-être qu’en s’élevant, il pourrait retrouver la piste de l’animal. Il l’espérait en tout cas, et ça ne tarda pas, les couleurs éclatantes lui agressant presque la rétine. Il les suivit malgré tout jusqu’à une clairière qu’il ne connaissait pas, ou dont il n’avait pas le souvenir, pour voir Hector perché sur une branche… chantant la sérénade à une jeune fille. Il était presque certain de l’avoir déjà vue, mais son nom lui échappait. Elizabeth ? Peut-être.

Se posant doucement à côté d’elle, il la regarda d’un air très sérieux en cueillant des feuilles sur un des arbres environnant – inoffensives, des feuilles de châtaigniers. La sensation serait désagréable, mais elle n’avait pas vraiment le choix. « Mademoiselle ? Vous devriez mettre ces feuilles dans vos oreilles, pour ne pas entendre son chant. » Car c’était connu, le chant des focifères à trop grande dose pouvait rendre fou. Elle le savait, n’est-ce pas ? A son âge, elle devait indéniablement l’avoir vu en cours, du point de vue de Tristan. Mais il surestimait ce qu’on apprenait aux élèves, et oubliait qu’il avait acquis seul la plupart de ses connaissances. Sous le regard probablement dubitatif de la jeune élève, il s’appliquait en tout cas lui-même à se boucher les oreilles à l’aide de feuilles.

Si sa recommandation semblait totalement incongrue, ce que Tristan pouvait aisément comprendre, il n’avait pas hésité lui-même à se boucher tant bien que mal les oreilles grâce à ce stratagème. Le son était suffisamment étouffé pour diminuer les qualités incapacitantes du chant de l’animal, mais n’épargnait pas les paroles de la jeune fille, qui lui parvenaient incomplètes. « Des feuilles sur votre jupe ? Mais pas du tout, dans vos oreilles ! » Était-elle complètement inconsciente ou juste un peu simplette ? Enfin, ce n’était pas vraiment le moment de se questionner, s’il ne voulait pas qu’elle soit exposée au chant du focifère et en subisse les séquelles.

Attrapant d’autres feuilles, il les lui tendit, d’un air qu’il espérait suffisamment autoritaire pour la convaincre d’obéir sans plus discuter. Soupirant, il se targua quand même de plus d’explications, devant son air proprement dubitatif. « Cet animal – un focifère, un oiseau magnifique provenant d’Afrique – a des capacités particulières. Son chant, notamment, peut devenir nocif après une écoute prolongée. Ses propriétés sont méconnues ici, et je n’ai pas eu l’opportunité de les étudier autant que je le voulais, mais ce sont des créatures fascinantes. Mais si vous ne voulez pas devenir folle, je vous conseille de m’écouter. » Et si elle ne le faisait pas… Il devrait probablement lui lancer un stupéfix, pour lui mettre les feuilles. Mais si elle était à Beauxbâtons, elle devait être suffisamment sensée pour écouter les conseils avisés de quelqu’un qui s’y connaissait vraisemblablement plus qu’elle, non ?

Il l’espérait, en tout cas, préférant s’occuper de calmer l’animal qu’une élève récalcitrante. Il répugnait à lancer un sortilège de mutisme sur ce dernier, alors qu’il avait été provoqué par un élève et que sa panique était légitime, mais il n’aurait peut-être pas le choix. « Mademoiselle… Vous pouvez me rappeler votre nom ? Nous allons devoir apaiser le focifère, et le faire arrêter de chanter. Peut-être pourriez-vous essayer de l’amadouer ? Il n’a pas de nom, proposez-lui en un. Ou plusieurs, jusqu’à que vous pensiez qu’il approuve. » Sans tant est que ça arrivait. Mais il refusait de ne pas essayer.

S’avançant prudemment, il tendit le bras vers l’oiseau, pour l’inciter à s’approcher. « Je ne te veux pas de mal. Je t’ai soigné, tu te souviens ? On n’aurait jamais dû t’arracher des plumes, et si je trouve l’élève qui l’a fait, je te promets qu’il ne recommencera pas. » Il lui arracherait bien quelques cheveux, alors qu’il était endormi, pour lui faire comprendre à quel point c’était déplaisant, mais ce n’était pas vraiment ce qu’on attendait d’un employé de Beauxbatons. Alors que Tristan essayait de s’approcher, l’animal monta sur la branche au-dessus, s’éloignant encore plus, arrêtant le vétérinomage instantanément. « Allez-y, il vous écoutera peut-être plus que moi. » Après tout, il s’était approché d’elle, avait chanté pour elle, il avait dû se sentir en sécurité et apaisé, ici.

On avait souvent qualifié Tristan de bizarre, dans ses études, notamment parce qu’il pouvait instantanément s’interrompre pour observer une créature ou une plante, voire protéger ces dernières de malotrus qui voudraient les malmener, mais la demoiselle face à lui ne devait pas y échapper non plus. Après tout, elle semblait avoir des soucis d’audition – ce qui n’était assurément pas sa faute – mais aussi de compréhension. Il lui donnait une consigne assez claire, à savoir se boucher les oreilles, pour ne pas succomber au chant du focifère. Il ne méprisait pas le professeur actuellement en poste, et il pouvait comprendre que ça semble hasardeux d’enseigner des moyens de défense contre des mammifères venant d’un autre continent, mais les élèves de l’académie magique française semblaient avoir de graves lacunes. « C’est pour votre bien ! » À moins qu’elle ne souhaite, évidemment, ne plus avoir toute sa tête, mais ça serait vraiment très étrange pour l’adulte, surtout alors que tout son avenir l’attendait.

« Isabelle Argendeau ? » Si le nom l’interpella un court instant, il finit par hausser les épaules : il pouvait très bien avoir oublié le nom d’un des étudiants. Ils étaient nombreux, après tout, et il n’était pas leur professeur, donc pas amené à tous les fréquenter, loin de là. « En quelle année êtes-vous ? Votre professeur de créatures magiques n’a donc jamais évoqué les créatures africaines avec vous ? Que vous a-t-il appris, depuis que vous êtes arrivée à Beauxbâtons ? » Il voyait bien que la jeune fille était dubitative, peut-être même sceptique et, surtout, mal à l’aise, ce qu’il ne comprenait pas réellement. Elle l’avait forcément croisé dans les couloirs, elle était dans les bois et la situation n’était pas vraiment catastrophique : après tout, l’oiseau ne s’était pas mis à chanter.

Mais elle allait devoir rapidement l’aider, si elle voulait l’apaiser et qu’il ne représente plus une menace. Les focifères aimaient entendre les humains chanter, d’après les rumeurs du moins, mais on disait aussi qu’ils avaient tendance à accompagner les humains, dans ce cas-là. Humains qui ne se méfiaient évidemment pas. « Ne chantez surtout pas, il prendrait ça pour une invitation. » Elle semblait obéissante, mais il préférait s’attendre au pire malgré tout, espérant qu’elle ne s’y mettrait pas. « Pourquoi ? Vous manquez d’inspiration ? Dites tout ce qui vous passe par la tête, vous verrez bien sa réaction ! » Il avait besoin qu’elle s’occupe de le distraire pour qu’il puisse lui administrer un sédatif de sa concoction sans le moindre risque – ni pour le focifère, ni pour lui. Il devait lui mettre quelques gouttes sur la langue. Lui gratouiller la base du museau aidait, mais seulement s’il parvenait à s’approcher. « Nigaud, Grasdouble, Bizarre et Pinçon. » Il attendit un bref instant, avant de rajouter. « Comme ça ! Il poussera un cri de contentement si ça lui convient. Je suppose. C’est très important que vous le fassiez. » Mais il lui expliquerait pourquoi plus tard.