avertissement de contenu : crise de troubles compulsifs alimentaires (tca)

Elle se mord la lèvre.
L’idée est toujours là, entêtante, obsédante. Physique, même. La faim qui revenait et ces pensées qui reviennent. Shirin expire. Dans la pénombre de son dortoir, elle observe résolument le plafond, comme si elle voulait assassiner d’un clignement d’œil ce dernier. Elle s’était couchée exprès pour ne pas penser à la faim et ses privations alimentaires depuis quelques jours. Elle avait réussi à s’endormir sans difficulté puis que la journée avait été épuisante psychiquement. Mais les cauchemars, eux, ne l’avaient pas laissée tranquille. Elle les voyait défiler, s’ajoutant les uns à la suite des autres pour que la torture continue. Frustée dans son sommeil, elle s’était réveillée et avait regardé l’heure discrètement en faisant le moins de lumière possible pour ne pas réveiller ses camarades de dortoir. Un soupire s’échappe de ses lèvres et elle croise les bras dans son lit, frustrée, boudeuse…
Et morte de faim.
Shirin inspire. Shirin expire.
Ce n’est que dans ta tête, se répète-t-elle encore et encore.
Ses poings se ferment et elle se force à essayer de penser à autre chose. Mais l’idée revient, encore, plus forte, à lui en donner les larmes aux yeux.
Elle se sentait pitoyable et inutile. Elle avait promis à Naheed qu’elle y arrivait à maitriser ses crises. Elle lui a promis et elle ne veut pas la décevoir même si sa tante n’en saurait rien puisqu’elle ne lui dirait pas dans ses lettres. Et pire que tout. : même si Naheed avait, elle aussi promis de ne rien dire, elle pourrait cette fois-ci changer d’avis et le dire à Javed.
Mais plus elle y réfléchit, plus elle sent sa volonté s’étioler, les dernières réserves de bon sens s’envoler. Alors, d’un coup sec, Shirin tire sa couverture et sort du lit le plus silencieusement possible.
S’assurant de ne faire aucun bruit, Shirin se couvre d’un châle. Elle essaie déjà de calculer le temps qu’il lui faudra pour aller jusqu’aux cuisines. Mais tout de suite son cerveau lui fait surgir des images de ce qu’elle a envie de manger.
Quelque chose de sucré. Un gâteau ou ce qu’il reste de tarte de ce soir qu’elle n’a pas osé toucher pour le dîner. Il doit bien en rester après tout. Ou alors une recette qui lui faisait du bien, doudou comme elle l’appelait, qui lui rappelait l’enfance et les jours heureux, les jours avant tout ça.
Refermant sans bruit la porte de son dortoir, la jeune femme descendit les escaliers. Mais arrivée à hauteur de la dernière marche, avant de poser son pied dans la résidence du souffre, Shirin s’arrête.
Et c’est la honte qui surgit.
La honte de craquer.
La honte de ne pas être assez forte.
La honte de ne pas savoir ce qui déclenche cette crise.
La pensée immédiate ensuite qu’elle se priverait encore le lendemain pour compenser et qu’elle trouverait une solution comme elle en a toujours trouvé. Shirin ferme les yeux un instant avant de définitivement sentir ce point de basculement, ce moment exact où la dernière pensée à raison d’elle.
Elle pose son dernier pied sur le sol et commence à marcher en direction de la sortie de la résidence du souffre… quand elle sent quelqu'un proche d'elle. Comme un animal sous les feux d’une voiture, l’iranienne se fige. Elle sait qu’elle n’a rien à faire ici et qu’elle devrait être dans son dortoir, et si un instant, elle a peur que ce soit un des délégués qui revienne de sa ronde, la surprise se peint sur son visage lorsqu’elle reconnait le faciès de Roméo.
« Je… j’allais me coucher. » paniqua-t-elle, se rappelant à la dernière minute qu’il n’était pas télépathe, ni délégué et qu’il n’en avait sûrement rien à faire qu’elle soit debout à cette heure-ci… et que visiblement, elle mentait, elle comptait bien prendre le chemin opposé à son dortoir juste avant qu’il n’arrive.

La lune s’était levée depuis déjà de bonnes heures avant que Roméo ne se mette en chemin vers la Résidence du Soufre. Officiellement, il n’avait aucune raison valide d’être en de son lit à une telle heure, mais il avait appris au fil des années qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un agenda exactement légitime, et qu’il pouvait parfaitement dissimuler ses habitudes les plus secrètes avec des excuses de qualité plus ou moins recevable. À sa surprise, il s’était rendu compte qu’à Beauxbâtons, on se fichait pas mal de savoir vraiment pourquoi il n’était pas dans son lit, et qu’une infraction était une infraction au règlement. Dès lors, il avait fait exactement ce qu’il faisait ce soir-là : prétendre avoir été aux cuisines pour rapporter à sa salle un souper frugal pour la nuit.

Bien sûr, c’était un mensonge. S’il revenait effectivement avec ce qui était en réalité son petit déjeuner du lendemain, il ne s’était pas exactement rendu directement à l’aile du serpentaire, mais en réalité était fourré au Repère des grands crus. À défaut d’être le lieu de rendez-vous du club d’œnologie, il s’agissait en fait de l’emplacement des réunions des Adeptes de l’Aube, entre les futs de chêne, d’acacia et de châtaignier. Cela manquait immensément de prestige aux yeux du Lestang, qui restait fermement convaincu que toute organisation secrète, tout conspiration digne de ce titre lugubre, se devait d’avoir sa propre entrée secrète et ses propres quartiers secrets.
Ce n’était pas simple à entendre pour le reste des Adeptes de l’Aube, qui étaient davantage intéressés à intriguer pour renverser purement et simplement le régime en place. Enfin, environ. Mais au final, ces soirées à refaire le monde avec autant de cépages à portée de main étaient une preuve que le lutin était dans le verre.

Ce soir, donc, Roméo revenait discrètement à la Résidence du Soufre en longeant les murs de l’école, un panier sous le bras, une cape sur laquelle il avait lancé un sortilège de Désillusion soigneusement ajustée sur ses épaules et sa tête. Il aurait pu lancer le sort directement sur sa personne, mais la sensation de liquide froid se répandant à chaque fois le répugnait. Quoi qu’il en fût, c’était désormais la manière dont il procédait à chaque sortie illégale : il faisait apparaître un panier d’osier dans les cuisines pour concevoir son alibi. Simple, efficace tant qu’il s’assurait ne pas nourrir une colonie de fourmis dans son dortoir. Proche de la porte d’entrée de la résidence, il en passât discrètement le seuil, refermant celle-ci avec soin avant de se retenir de pousser un soupir de soulagement. Rencontrer quelqu’un, même à cette heure-ci, n’était pas exclu, et le sorcier l’avait appris à ses dépends avec le précédent délégué du feu. Par contre, ce qu’il n’avait pas prévu, c’était la sorcière sous son châle qui, elle, se faufilait à pas de loup vers la sortie.

Le cœur de Roméo faillit bondir hors de ses côtes, et il manquât de pousser un cri de surprise alors qu’il apercevait, vraiment beaucoup trop tard, qu’il n’était pas seul. Une vague de froid courait le long de son épiderme, et Roméo fit un effort pour éviter de chanceler. Vaguement vexé d’avoir réagit ainsi et qu’un autre élève lui ait fait peur en tentant de faire le mur, il retira sa cape désillusionnée de façon peu théâtrale, se dévoilant à… Shirin ?
« Shirin, c’est toi ? »

La question était bête, mais pas autant que ça voit qui tressautait encore, vrombissant aux coups de son cœur qui avait pris un virage en ligne droite. Il écoutât vaguement la réponse de Shirin, encore en train de se remettre de son sursaut. Et constatât assez rapidement qu’elle n’allait pas vraiment se coucher, encapuchonnée dans un châle en se dirigeant vers la sortie. Mais si Roméo était quelque chose, c’était au moins d’être chevalier et de ne pas offusquer celle qui lui plaisait.
« Désolé, je ne souhaitais pas te faire peur. Je… je revenais des cuisines, et j’allais profiter du reste de la soirée pour lire un peu et grignoter un peu, mais je ne te retiens pas. »
Il montra le panier comme preuve. Roméo n’était pas la baguette la plus lustrée du couvent lorsqu’il s’agissait d’éviter les ennuis, et l’excès de détail n’était pas sa préoccupation première quand il se constituait un alibi.

Elle ne l’avait vraiment pas vu arriver. Son cœur battait fort de peur et elle ne dut que la retenue d’un cri de stupeur qu’à ses ongles enfoncés dans la paume de sa main à travers son châle qu’elle refermait sure elle. Elle devina à la manière un peu trop théâtrale dont Roméo bougeait sa cape que c’était donc la raison pour laquelle elle ne l’avait pas vu venir. Elle reconnut sans mal le sortilège de désillusion qui s’estompe à mesure que Roméo se dévoile entièrement.
Mais, par Merlin, quelle idée d’effrayer les gens en apparaissant comme cela alors qu’il faisait presque sombre.
« Oui, c’est moi. » répondit-elle encore chamboulée par leur croisement impromptue et se rendant compte que sa réponse était aussi idiote que sa question à lui.
Au moins, le ridicule ne tuait pas.
Essayant de calmer son pauvre palpitant malmené par Roméo sans que ce ne soit réellement une surprise qu’il s’agisse de lui, Shirin l’écouta. Quelque chose dans le ton de sa voix lui semble faux, un rien sans doute. Mais elle ne pouvait pas dire après tout qu’elle le connaissait plus que cela et qu’elle pouvait bien se tromper. Le panier qu’il lui montra acheva cependant de la convaincre que cette fausse note n’était que dans sa tête.
Et elle se fige un peu.
Elle ne savait pas si Zorvan s’amusait avec elle mais elle trouvait le timing de ce panier et de sa faiblesse plutôt ironique.
Puis, elle réalisa dans la façon dont il avait formulé sa phrase que c’était peut-être une invitation. Et là, Shirin se sentit un peu mal à l’aise parce qu’elle n’était pas sûre et qu’elle ne voulait pas donner l’impression de s’inviter. Mais l’invitation était tentante… elle devait bien admettre que si depuis la rentrée où ils avaient échangé plus longuement, ils n’avaient pas tant eu le temps de discuter, elle avait beaucoup pensé à lui.
« Je… » Son hésitation était palpable, mais elle se rendait compte qu’elle rendait ce silence un peu trop long et un peu trop inconfortable sans doute pour elle-même plus que pour lui. « Excuse-moi, je suis encore chamboulée par ton apparition. » C’était peu de le dire. « C’est une invitation ? »
Et elle déglutit difficilement, son regard se redéposant sur le panier.
Elle ne devrait pas accepter. Mais la tentation était bien trop grande et elle avait toujours faim.
« Tu comptais lire quoi ? » demanda-t-elle comme pour se distraire du contenu du panier et de ses propres démons.

Pris de surprise, on ne pouvait pas dire que Roméo manquait de ressources. Du moins, c’est ce qu’il pensait de lui-même, mais il était aussi conscient d’être un peu présomptueux de son importance. Mais quoi qu’il en était, l’invitation qu’il avait lancé à Shirin, alors que les deux jeunes adultes tentaient de se remettre du battement manqué de leurs palpitants, avait touché son but et il en était plutôt ravi. Le silence un peu long de la sorcière qui avait visité ses rêves sur les semaines dernières l’avait rendu gêné l’espace d’une seconde, se demandant s’il n’avait pas été imprudent. Alors qu’il se battait intérieurement en s’assurant qu’ils étaient entre adultes, la réponse de Shirin lui parvint, coupant dans le brouillard de ses préoccupations.
« Oui, enfin, en quelque sorte. C’est que… j’aurai apprécier passer un peu de temps avec toi, à nouveau. »

La pénombre était tombée depuis quelques heures sur la Résidence du Soufre. Les couleurs ocres qui teintaient sa décoration et son luxe sobre, mais élégant donnait à la pièce une ambiance apaisante, chaleureuse sans être étouffante. Les chandelles vacillaient de temps à autre, fournissant une douce lumière qui continuerait à éclairer doucement le vaste salon qui composait la pièce principale de leur salle commune. Il y avait une certaine intimité dans cette lumière tamisée, et c’était bien ce qui devait sauver les joues carmines de Roméo de la vue de Shirin. Roméo manqua de se mordre la langue et de taper du pied de frustration. Autant son approche avait été discrète, et il ne parlait pas de celle qui avait manqué de causer un arrêt cardiaque à Shirin, autant sa réponse à sa question d’éclaircissement avait été un éclair aveuglant dans les recoins sombres. Il avala sa salive, respira un coup et repris, plus posément.
« Je vais me reprendre. Est-ce que tu souhaites passer un peu de la soirée à discuter et manger un peu ? »

Dans sa confusion, dans son embarrassement et dans ses balbutiements, Roméo avait omis de vraiment observer la sorcière et n’avait pas vu son regard porté sur le panier qu’il portait à son bras. À ses yeux, seul comptait de vivre à nouveau ce moment passionnant qu’ils avaient échangé à la rentrée. Shirin posa une question, qui ramena les pieds du jeune sorcier sur le tapis tressé de la résidence.
« Oh, la Jeune Sorcière Verte. C’est un roman sur une petite ville qui est en émois à propos d’une sorcière verte qui vole les cœurs et bouleverse les autres personnages. C’est assez sympathique, même s’il n’y a pas autant d’action que ça. On ne voit jamais la sorcière, en fait. »

Sentant qu’il pourrait continuer plus longuement, il sortit sa baguette et lança un sort d’attraction vers son dortoir. Après quelques instants, cognant brutalement l’embrasure d’une porte, le roman de poche apparut et fila dans sa main ouverte, sans qu’il ne regarde dans sa direction.

« C’est… plutôt bien. Je ne sais pas si tu as l’habitude de lire, mais si tu veux, je peux te le prêter. Je ne vais probablement pas le finir avant un moment, et je ne le lirai pas ce soir, si tu te joins à moi ? »

Son invitation restait en suspens, et il n’était pourtant pas si inquiet que ça de la réponse de Shirin. Il s’était apaisé en parlant de livre, et à ses côtés également. Il savait qu’elle n’allait pas lui en tenir rigueur. Ou du moins, il l’espérait. Il s’excuserait de la frayeur infligée, demain. Peut-être par un cadeau, il allait devoir y réfléchir. Mais pour l’heure, il restait les deux pieds plantés dans ce tapis ocre de la Résidence de Soufre, à attendre la réponse de Shirin.

La surprise de leur rencontre fortuite passée, Shirin se sentit infiniment bête d’avoir posé sa question car l’évidence même de la réponse de Roméo s’imposait à elle… et la fit rougir. Et quand il répéta, lui posant la question frontalement, Shirin ne put s’empêcher de se dire que vraiment, Roméo avait sans doute mieux à faire que de trainer avec elle et ses problèmes. Pourtant, l’idée de passer du temps avec lui, lui à qui elle avait beaucoup pensé depuis qu’ils s’étaient parlé plus de cinq minutes, lui plaisait. Mais une part d’elle en fut flattée et elle se dit qu’elle ne pouvait pas rater sa chance.
Encore moins lorsqu’il parla du livre en répondant à sa question.
Déposant son regard ambré sur le livre, elle sentit sa curiosité éveillée, ce qui n’était jamais réellement difficile lorsqu’il s’agissait de livre. Un petit sourire se forma cependant sur ses lèvres parce qu’elle sentait que Roméo aurait pu se lancer encore davantage sur le sujet et Shirin se dit que sans doute ne l’aurait-elle pas interrompue, touchée par sa passion et véritablement intéressée parce qu’il avait à dire. Regardant un instant vers l’endroit où elle entendait le livre tenter de sortir du dortoir, Shirin fronça un peu les sourcils. On repassera sans doute à la discrétion et presque jalousement, Shirin espérait que cela n’est réveiller personne. Elle n’avait aucune envie que quelqu’un vienne interrompre ce moment avec lui et voulait égoïstement profiter de Roméo alors qu’il n’y avait personne d’autre. Quitte à presque en oublier son propre mal.
Et à sa question, elle n’hésita pas une seule seconde.
« Avec plaisir. »
Se déplaçant finalement Shirin regarda vers les fauteuils et finalement s’en approcha avant de s’asseoir, les jambes repliées sur elle-même, dans l’un des canapés. Son regard se posa un instant sur le panier et elle se mordit la lèvre, essaya de chasser la pensée qui la prenait que ce n’était pas si grave si elle craquait.
Expirant, Shirin se força à redresser son regard sur le blond et son cerveau chercha subitement un terrain de discussion. Subitement, elle ne savait pas pourquoi, mais elle se sentait un peu intimidée par la présence de Roméo. Sans doute était-ce l’effet de la lumière tamisée de leur salle commune, mais elle lui trouvait un air véritablement beau, bien qu’il ne fut pas désagréable du tout à regarder même en temps normal… Pour ce qu’elle avait pu épié, elle s’en rendait compte maintenant, ces derniers jours.
S’éclaircissant la gorge, Shirin décida de tout de suite engager la discussion pour éviter de réfléchir trop à cette réalisation et la première chose qui lui vint fut : « Tu fais souvent cela ? Lire et grignotter ici pendant que tout le monde dort ? » Elle ne put s’empêcher de poser son regard sur la cape et ajoute, un peu plus faiblement, presque timidement : « C’est très astucieux, ton sortilège. »

Il y avait dans l’air comme une ambiance de béguin adolescent, tournoyant autour des deux sorciers adultes et responsables, qui se comportaient malgré tout comme s’ils avaient 10 ans de moins. Ils avaient le sourire aux lèvres et le rouge aux joues, et se regardaient d’un air assez passionné. Du moins, c’était ce que ressentait le sorcier pour la sorcière. Enthousiaste à l’idée de passer une partie de la soirée avec Shirin, il n’avait absolument pas réfléchi à son sort qu’il avait lancé comme à son habitude, provoquant l’arrivée parfaitement calibrée du livre dans sa paume. Roméo avait pris cette habitude de lancer des sorts pour tout et n’importe quoi, estimant assez justement à son avis éduqué qu’en tant que sorcier, c’était la meilleure chose à faire.

Ses lèvres accueillirent un nouveau sourire, large, alors que Shirin répondait immédiatement à son invitation, se dirigeant vers un des canapés, repliant ses jambes pour s’installer confortablement. Pendant quelques secondes, Roméo resta immobile, regardant la jeune femme s’installer et lui laisser de la place pour qu’il s’installe confortablement à côté de lui. Lorsqu’il remarquât le regard de Shirin posé sur lui, et précisément le panier, il réagit enfin, sortant de sa torpeur. Roméo allât s’installer à côté d’elle, repliant une jambe sous lui, l’autre prenant appuis sur le tapis. Posant la cape sur le rebord du canapé, il déposa le panier sur le sol devant eux, avant de se tourner vers les yeux ambrés de la sorcière qui le regardait. Le moment qu’ils passèrent ainsi sembla se suspendre dans le temps, alors qu’il cherchait sans effort ni résultat quelque chose à lui dire, comme mesmérisé. Une petite part de son esprit était gênée, propulsant une rougeur à ses joues alors qu’il réalisait partiellement qu’il ne devrait pas dévisager à ce point sa camarade de classe, aussi attiré à elle pouvait-il être.

Heureusement, Shirin rompu le charme avant qu’il n’oublie de respirer, et prit à nouveau la parole après s’est éclaircit la gorge. Il cessa le contact visuel à sa première question, sautant soudainement dans la réalisation qu’il allait lui apporter une autre explication tronquée de la réalité. Il n’y avait aucune once de remord en lui concernant le fait de mentir sur ses occupations nocturnes, mais cela nécessitait malgré tout un petit effort pour qu’il se replonge dans le souvenir forgé de ses occupations de la soirée. Entendant la fin de la question, il se détendit davantage, et lui répondit :
« Ça m’arrive assez souvent, oui. J’ai parfois du mal à m’endormir, alors je passe plutôt mes soirées à faire autre chose, jusqu’à vraiment tomber de fatigue, mais je ne dors pas beaucoup plus de six ou sept heures. »
Ce n’était pas un mensonge à proprement parler. Roméo esquivait vraiment ses rêves, habituellement peuplés de cauchemars dont il ne se séparait jamais vraiment. Ce qu’il faisait de ses soirées, en revanche, variait sensiblement de ses centres d’intérêts et de la fréquence des réunions des Adeptes de l’Aube. Enchaînant sur le compliment soufflé de la sorcière, il sourit avant de tirer à lui la cape, pour lui montrer. Le tissu semblait couler comme de l’eau au contact de la peau, tout en étant parfaitement sec. Il ne put s’empêcher de lui raconter un peu ce qu’il en était : « Merci, j’ai passé un certain temps à l’enchanter pour qu’elle soit uniforme. C’est le résultat d’une bonne semaine à tenter de faire ma propre cape d’invisibilité. Mais on me voit quand même si je ne suis pas dans l’ombre, et elle ne dissimule pas l’ombre portée au sol. » Il en était assez fier, tout en étant assez conscient qu’elle faisait pâle figure face à une véritable cape d’invisibilité faite à partir de poil de demiguise. Relevant les yeux vers le visage de la sorcière à ses côtés, il se demanda à quel point celle-ci pourrait voir au travers des manquements de son histoire. Et à quel point elle pourrait lui en vouloir. Sentant son cœur se resserrer un peu dans sa cage thoracique, Roméo prit peu à peu conscience qu’un véritable pas de porte devrait être franchi avec Shirin, s’il souhaitait un lendemain à ses rencontres opportunes. Réalisant qu’il avait fermé son visage, il fit un effort pour se détendre avant qu’elle ne réalise ses questionnements.

« Mais je parle trop, est-ce que tu souhaites manger un peu ? » Levant sa baguette, Roméo murmurât un Leviosa, soulevant le panier afin qu’il flotte à hauteur de bras. Il attrapât une des serviettes nouées, et la dénoua pour montrer une tartelette, reste du dessert de ce soir. Une sorte d’offre de paix, avant qu’il ne trouve le moyen de demander, l’air de rien, les penchants de Shirin. En tout cas, tel était son plan, ça et éviter de la dévorer des yeux à nouveau comme il l’avait déjà trop fait ce soir.

Elle le sent elle aussi, cette atmosphère tout adolescente. Ils sont pourtant des adultes maintenant, presque en voie de finir leurs études. Si dans le fond, elle se sent un peu ridicule, elle trouve que cela fait du bien sans pour autant se projeter plus loin. Parfois, il fallait sans doute profiter de l’instant sans réfléchir plus pour ne rien briser.
Laissant le jeune homme s’installer, elle ne peut s’empêcher d’observer un peu la cape qu’il a, ne pouvant s’empêcher de trouver l’idée astucieuse et fortement amusante. C’était typiquement le genre de détail qui laissait supposer que Roméo n’avait sans doute pas envie de savoir ce qu’il faisait même si cela consistait à aller chiper dans les cuisines des tartelettes. Un sourire en coin aux lèvres, Shirin reposa son regard sombre sur la mer d’eau de Roméo. Elle ne put s’empêcher de se dire qu’elle devait être bizarre à le fixer, pourtant dans la luminosité tapie de la salle commune, elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier la beauté du noble et n’arriva pas à le cacher.
Décidant de ne pas passer pour une idiote plus longtemps, Shirin parvint à recentrer la discussion sur ce qui la frappait, la raison de sa présence tardive ici ainsi que l’astucieux sortilège sur sa cape. Son rougissement se calma un peu, et elle bougea légèrement pour jouer avec une mèche de ses cheveux bouclés tout en l’écoutant, ce qu’elle faisait quand elle était un peu gênée. Apprenant qu’il était sans doute victime d’insomnie, elle sourit, comprenant parfaitement. Si Shirin n’avait pas tant de problèmes pour dormir, il y avait des soirs comme ce soir où il lui était plus difficile de ne pas succomber à ses propres démons et ce qu’elle considérait avec une certaine culpabilité comme sa faiblesse. Cela pouvait la maintenir éveillée jusqu’à ce qu’elle tombe de fatigue également. Alors, quelque part, elle comprenait.
Son regard se posant sur la cape en écoutant comment Roméo s’y était pris, son sourire s’accentua lorsqu’elle releva son regard sur lui. Il faisait preuve de patience. Une semaine, certains auraient abandonnés avant. Elle trouva sa fierté affichée touchante et il avait sans doute de quoi. C’était une jolie prouesse magique.
Le silence retombant un peu, elle constata qu’il devait sans doute penser à quelque chose de négatif en la regardant et Shirin se demanda si elle n’avait pas posé une question qui fâchait. Se sentant mal à l’idée d’avoir fait quelque chose de mal qui plus était à propos de lui, se rendant compte à quel point cela commençait à l’affecter, elle s’apprêta à s’excuser quand il reprit la parole et elle reposa son regard sur les tartelettes. Le cœur de Shirin tambourina dans sa poitrine. Somme toute, elle était prise au piège toute seule. Il lui semblait que dire non était impoli alors que lui mangerait sûrement et puis, elle en avait envie. Mais elle savait que c’était mal et déjà, elle trouvait des moyens pour apaiser sa culpabilité.
Demain, je mangerai moins. Demain, je ferais un peu plus d’exercices pour compenser… une petite quantité ne me fera pas de mal, pas vrai ?
Expirant, elle sut déjà qu’elle était fouttue et décida de gérer sa culpabilité plus tard, tout en sachant que ce genre de pensées serait en fond dans sa tête jusqu’au coucher, et acquiesça.
« Oui, avec plaisir. »
Et succombant au péché de gourmandise, Shirin se pencha pour casser une tartelette en deux et n’en prendre qu’une moitié. Avec le plus de retenue et d’élégance possible, Shirin mangea un bout de sa moitié de tartelette, essayant de ne pas se jeter dessus comme la rustre qu’elle pouvait être parfois pour combler ses crises, et comme pour s’éviter cela, elle jeta un coup d’œil au blondinet.
« Je voulais passer encore du temps avec toi, plus longuement depuis qu’on a discuté le soir de la rentrée. » s’entendit-elle dire avant de se rendre compte qu’elle avait pensé à haute voix.
Rougissant immédiatement Shirin reprit un peu balbutiante : « Mais… je… ne savais pas si c’était ok comme tu es souvent occupé… » Elle a un rire gêné. « Désolée, je suis ridicule. » admit-elle, un peu désespérée contre elle-même d’avoir l’impression d’être une jeune fille en pâmoison. « Je suis juste contente de te retrouver même si c'est tard la nuit. » Mais quelle idiote. pensa-t-elle en soupirant contre elle-même.

Comme pris au piège, Roméo regarda la sorcière prédater une tartelette dans le panier, avant de la briser en deux dans ses paumes. Le bruit de la pâte sablée fit un léger tac qui se perdit dans la pièce, si furtivement que l’on aurait pu le confondre avec une bûche qui aurait craqué dans un âtre. Il y avait dans cet instant une sorte de féérie qui captivait bêtement le sorcier, qui regarda la sorcière manger sa moitié de pâtisserie. Alors qu’elle levait les yeux vers lui, il se rendit soudain compte en croisant son regard qu’il l’avait fixé, une fois de plus. Détournant le regard vers l’autre moitié, il se demanda s’il devait en prendre une autre ou manger sa moitié. Ses pensées s’emportèrent comme un château de sable à la marée montante quand Shirin reprit la parole d’une voix distraite.

L’aveu était… surprenant et inattendu. Roméo prit des couleurs et chercha ses mots alors que ceux-ci revenaient à Shirin. Il tentait frénétiquement de lire entre les lignes pour trouver une autre raison que celle qui empoisonnait ses idées et contre les barreaux de celle-ci ses méninges se jetaient. Prenant une inspiration, il manqua de répondre et s’interrompit alors que Shirin rajoutait une excuse, puis enchaînait avec un autre aveu. Il avala sa salive avant de lui répondre, de façon aussi réfléchie qu’il pouvait.

« En fait, ce serait plutôt à moi de m’excuser. J’imagine que cela aurait plutôt dû être à moi de faire ce premier pas, et que j’ai trop tardé. »
Relevant son regard qui avait creusé des sillons incandescents dans les tartelettes, il revint vers une Shirin carmine, assortie aux couleurs de ses pommettes. Il sourit et essaya de suivre le fil de son idée.

« Je te pris d’accepter mes excuses, j’aurai préféré l’avouer plus tôt, mais je souhaitais aussi passer davantage de temps avec toi, depuis notre renc… notre discussion dans les jardins. Mes activités à la reprise m’ont pris du temps mais j'aurais dû en allouer. »
Levant les yeux vers le plafond, il se mordit la lèvre avant de reprendre, étouffant un soupir.
« Je suis heureux que l’on discute Shirin, et j’apprécie nos entrevues. Peut-être que notre prochaine fois devrait être plus… établie à l’avance ? »

Il se tût pour se laisser du temps et en laisser à Shirin. Cela faisait un moment que Roméo n’avait pas eu de rencard et il avait l’impression que d’être ankylosé, comme se redécouvrant un muscle qu’il n’avait pas agité depuis des années. Il avait eu sa part d’aventures et de découvertes durant son adolescence, comme tout un chacun. Cela avait mené à diverses péripéties, dont une impliquant Amaury de Castel. Tout cela avait changé lorsqu’il avait complété son premier arc de spécialisation et entrepris de finaliser ses études pour se concentrer sur l’après-Beauxbâtons. L’école allait lui manquer, et il en avait commencé le deuil à la rentrée précédente. Il avait eu l’impression que ses idylles avaient atteint leur apogée il y avait quelques années, et il avait laissé aux plus jeunes la passion et l’empressement. Mais il remettait en doute sa volonté de tourner la page de ses idylles aussi facilement en se plongeant dans les yeux de Shirin, comme si l’ambre s’abreuvait de ses convictions.

Se pinçant les lèvres, il décida de saisir discrètement sa baguette posée sur le canapé pour attirer discrètement une tartelette à lui. Faisant un délicat mouvement de poignet, il lança un sort de lévitation informulé pour faire soulever une tartelette qui vint doucement se porter à ses lèvres, et il en croqua une part tout en portant à l’autre sa main gauche pour prévenir tout accident. Profitant pendant quelques instants de la saveur sucrée, il se rendit compte de l’insolite de son geste et reprit la parole, un sourire presque gêné aux lèvres.

« Désolé je… j’apprécie utiliser de la magie pour ce genre de choses. De la pratique vient la finesse. »
Il n’y avait pas que des miettes qui parsemaient les lèvres du sorcier, mais aussi un certain hubris et un brin de facétie.

Résultat du sortilège lancé à l'aveugle:

Elle se demanda, un vague instant si elle était allée trop loin. À voir le visage qui rougissait, ou en tout cas qui prenait une teinte vraiment différente de sa couleur naturelle malgré l’ambiance tamisée qui jetait quelques ombres sur son visage, elle s’insurgea. Elle aurait dû se taire et manger. Shirin dérive le regard pour ne pas affronter le futur refus qu’elle pensait deviner. Mais lorsqu’il s’excusa presque, elle leva un sourcil et reposa son regard sombre sur lui. Son rougissement à elle disparait un peu. Elle ne comprend pas très bien pourquoi cela aurait été à lui de faire le premier pas obligatoirement, mais elle supposait que cela avait à voir avec la bienséance et l’invitation qu’il avait été le premier à faire ou en tout cas la volonté que leurs échanges continuent et leurs rencontres se poursuivent plus tard.
« Tu n’as pas à t’excuser. On était tous les deux occupés, je crois. » précisa-t-elle parce qu’elle tenait à lui ôter ce doute. Et ce qui était fait était fait après tout. Ils pouvaient maintenant qu’ils étaient plus au clair faire autrement.
Et lorsqu’il lui dit implicitement qu’ils pourraient se rencontrer à l’avenir, passer un moment ensemble de manière planifiée, Shirin eut un petit moment de panique. Était-ce un rendez-vous amical ou … ? Par Merlin, non, elle croyait bien que ce n’était pas amical et cette réalisation lui rappela qu’elle n’avait pas eu de relations de ce genre depuis un long moment. Il fallait avouer qu’elle avait une image d’elle-même qui n’était pas compatible avec un quelconque jeu de séduction et qu’elle s’était souvent mise en tête qu’elle ne voulait pas que son partenaire ne subisse ce qu’elle n’arrivait pas à guérir.
Shirin expire. C’était pourtant terriblement tentant et puis, cela ne pouvait simplement mener à rien également. Elle savait qu’elle avait quelques attirances pour lui mais cela ne pouvait rester que cela, des attirances innocentes qui s’apaiseraient avec le temps. Ce serait sans doute mieux pour lui. Elle ne pensa même pas à leurs situations respectives et l’impasse dans laquelle ils se trouvaient.
Son visage s’illumina d’un sourire, naturel, léger et elle répondit finalement :
« Nous pouvons, oui. Ce serait bien. »
Elle toussote un peu et mange un peu pour s’occuper. Que faire maintenant ? Lui proposer directement un lieu, une date ? Et qu’est-ce qu’ils pourraient faire exactement ? Elle aimait bien discuter avec lui mais ils pouvaient également avoir une activité aussi pour passer le temps. Et aussi pour qu’elle ne paraisse pas idiote à vouloir l’observer constamment. Ce serait très malaisant.
Fort heureusement, il sembla un instant distrait avec les tartelettes dont une qu’il faisait voler du bout de sa baguette jusqu’à lui. Elle ne put s’empêcher de sourire un peu.
« Ce qui explique la finesse de ton enchantement. » commenta-t-elle, amusée en désignant sa cape.
Reprenant un petit bout de sa moitié de tartelette, faisant tout pour essayer que cela dure et qu’elle évite de se jeter sur le reste, Shirin finit par demander après un instant de silence :
« Il y a un lieu où tu apprécierais qu’on aille ? Pour cette prochaine entrevue établie à l’avance. » Elle essaie de soutenir son regard, choisissant scrupuleusement ses mots pour reprendre les siens de manière à ne prendre aucun risque de peur de se fourvoyer sur ses intentions. « Et une activité ? Enfin, sauf si tu veux juste que nous soyons tranquilles ? »
Elle rougit à cette pensée avant de finalement rajouter : « J’aime bien aller me balader dans le bois d’Houquière parfois le week-end ou encore aller à l’observatoire quand c’est autorisé et que ça ne dépasse pas le couvre-feu. » L’observatoire était d’ailleurs sans doute son endroit préféré. Après tout, elle n’était pas une Al-Farizi pour rien. Les étoiles étaient dans le famille depuis des générations maintenant.

La subtilité était peut-être une délicate politesse qui exigeait qu’on la manie avec légèreté, fermeté et bonne mesure, mais c’était également une sacrée emmerdeuse. Roméo se trouvait à la fois enchanté et essayait au mieux d’être poli, l’héritier d’une longue et prestigieuse tradition, d’incarner la courtoisie qu’il trouvait dans ses livres les plus inspirants. Cet état d’esprit était d’autant plus en place qu’il n’était pas sûr que ce fût une si bonne idée. Enfin, sur le parchemin rien n’empêchait quelque chose de se passer entre les deux jeunes sorcier & sorcière adultes et majeurs. Ce qui était plus gênant, c’était peut-être qu’ils n’avaient pas la place pour une telle relation entre eux. Après tout, ils avaient bien passé toute leur scolarité sans jamais passer autant de temps ensemble qu’ils n’en avaient vécu au cours de deux petites soirées. Mais ses doutes furent balayés par le visage illuminé de Shirin, qui, après une expiration et un temps de réflexion, avait approuvée sa proposition. Et rebond de joie dans le palpitant de Roméo, elle l’avait même décrit comme bien ! Il se retint cependant d’exprimer plus sa joie, ne voulant pas paraître désespéré. Ce ne serait pas très digne, ni vraiment dans l’ambiance qu’ils construisaient.

La regardant manger, il faisait de même, se procurant sa tartelette ensorcelée d’un coup de baguette. Roméo en avala cependant un bout de travers alors que Shirin lui lança un compliment inattendu, le prenant de court. D’abord elle était pour se côtoyer, et maintenant elle le flattait ? Il se mit à tousser discrètement dans son poing, faisant remonter les quelques morceaux qui s’étaient égarés dans sa gorge. D’une voix un peu aigue, il lui répondit.
« Je… désolé, merci. J’essaie de… enfin, merci. »

Autant pour la délicate attention d’ouvrager ses phrases comme un orfèvre. Il mangeât le reste de la tartelette dans sa main, et alors qu’il cherchait un moyen de revenir de façon plus gracieuse dans la conversation, Shirin reprit la parole, ses yeux ambre dans les siens.
Son cœur se rafraichit à ses mots, et il fronça un peu les sourcils alors que Shirin qualifiait leur prochain rendez-vous d’entrevue. Alors qu’il aurait dû chercher une réponse, il cherchait confusément dans sa mémoire immédiate s’il avait sous-entendu quelque chose qui avait pu faire croire à la jeune sorcière qu’il désirait autre chose qu’un rendez-vous galant, en relative bonne et due forme. Cherchant ses mots, il fut pris de court par une Shirin rougissante à ses mots, lui envoyant ses idées et lui confiant apprécier certaines balades. Avalant sa salive pour regagner autant que possible une voix convenable, sans grand espoir, Roméo lui répondit : « J’ai bien quelques autres idées, mais j’apprécie les tiennes et j’aurai proposé l’observatoire aussi. J’apprécie assez la tour Cuspide, et l’observatoire est un endroit calme. En autres idées, j’avais les jardins de la renaissance et le jardin d’hiver, mais celui-ci n’est vraiment extraordinaire que lorsque la neige tombe à l’extérieur. Pour une autre fois, j’imagine… » Les mots de Roméo tombèrent dans sa gorge alors qu’il se rendait compte qu’il gaffait. Se reprenant, il ajouta « Je veux dire, si le cœur t’en dit et qu’on souhaite toujours passer du temps ensemble d’ici les premières chutes de neige… »
Roméo avait la très nette impression d’être un benêt, ce soir. Il sautait le pas au lieu d’être patient, et alors que Shirin semblait à la fois enthousiaste et prudente, il avait l’impression de n’être qu’un fenouil agité qui était doté de parole. Essayant de penser à quelque chose qui puisse distraire et dériver l’attention de la sorcière qu’il contemplait depuis tout à l’heure, il reprit ses pensées et ses paroles : « Pour les activités… je proposerai bien de faire un peu d’astro ? J’imagine que tu es une experte en la matière, peut-être qu’il y aura quelque chose de magique à voir ? J’aime plutôt les explorations, mais on peut en faire ensemble derrière un télescope ? Je me chargerai de l’en-cas, si tu le souhaites ? »
Soufflant mentalement, il espéra fortement que Shirin ne rebondisse pas sur son entrain et ses mots d’espoir. Mêlant son embarra à sa stratégie d’évitement, il réfléchit par association et songeât au pigeonnier, pas si loin dans la même tour. Et une idée lui vint soudain, qu’il vocalisât :

« J’y pense, peut-être que nous pourrions nous écrire ? Je ne sais pas si tu es très portée sur les lettres, mais si nous manquons de temps, entre nos études, les clubs et, visiblement, nos escapades nocturnes… cela peut être original ? »
L’idée lui était venue d’un coup et lui plaisait. Il n’écrivait lui-même pas tant que ça, mais cela allait peut-être permettre à ses sentiments de couler plus librement. Et, espérait-il, peut-être qu’il comprendrait un peu mieux les envies et désirs de Shirin.

Lorsque Roméo avala un bout de travers, Shirin se demanda si elle n’était pas allée trop loin et si elle avait réellement dit quelque chose qui ne fallait pas. Il lui semblait pourtant que c’était un bon compliment ? Et vrai, qui plus était. Roméo semblait doué avec la magie et Shirin était assez observatrice pour le remarquer. Se mordant la lèvre, elle regarda autour d’elle, se demandant ce qu’elle pouvait bien faire pour l’aider à passer le mal au moins physique qu’il ressentait. Néanmoins, remarquant qu’il finissait par se mettre, elle décida de ne rien faire, non sans garder un œil sur lui, un peu inquiète et se disant qu’elle ferait mieux de faire attention à ce qu’elle disait. Il lui semblait qu’elle marchait sur des œufs, d’autant plus qu’elle n’était pas vraiment sûre de ce qu’elle comprenait de ce qu’ils essayaient d’organiser.
L’idée pourtant de sortir avec Roméo l’enthousiasmait. Elle se demanda néanmoins si ses propositions n’étaient pas trop intimes. Parce que si elle se trompait sur ce qu’elle percevait… Le ridicule ne tuait pas, certes, mais cela lui passerait l’envie pendant un moment de supposer quoi que ce soit envers qui que ce soit, elle qui n’avait d’ailleurs pas spécialement confiance en elle sur ce genre de choses. Parfois, elle se disait non sans désemparement qu’elle avait plus de facilité à lire les objets que les gens. D’autant plus quand le dit jeune homme était quelqu’un qui visiblement l’intéressait et lui plaisait.
Le cœur un peu battant, Shirin se tait donc et laisse le noble reprendre la parole. Se faisant, elle vint déposer sa tête sur sa main et observe le jeune homme, sa masse de cheveux bouclés tombant sur le côté. Au moins ne prêtait-elle plus attention à la nourriture tentatrice pour ne fixer que le visage plaisant de Roméo. Heureuse qu’il accepte pour l’observatoire, elle se dit qu’elle ne sera au moins, pas en terre inconnue. Le monde des étoiles, après tout, elle connaissait. Les jardins étaient également une bonne idée et Shirin sourit doucement lorsqu’il proposait déjà un autre rendez-vous plus tard dans cet endroit, avant de se rattraper. Elle répondit immédiatement pour lui retirer sa gêne autant que possible :
« Je voudrai bien également y aller pour une prochaine fois. »
Était-ce téméraire de se projeter à ce point ? Shirin aimait se dire que ces moments dureraient dans le temps. Elle aimait bien l’idée et elle trouvait touchante l’enthousiasme non dissimulé du noble, là où elle-même était plus retenue car toujours plus réservée et prudente.
Son sourire s’accentua lorsque Roméo proposa une activité et bougea un peu gêné par le mot « experte ». Elle n’irait pas jusque là et elle n’avait rien à envier à son illustre ancêtre, mais elle se défendait. Pour autant, cette référence lui donnait une certaine nervosité intérieure qu’elle savait pourtant dissimuler. Shirin avait toujours ce complexe avec le poids de ses ancêtres. Son père, bien sûr, si haut gradé dans sa caste, mais aussi tous ceux avant lui. Et elle devait admettre, elle voulait impressionner un peu Roméo qui était un noble après tout, donc logiquement plus hautement classé qu’elle…
Stop, Shirin. On n’y est pas encore., s’insurgea-t-elle intérieurement pour tenter de calmer ce qui commençait à grimper en épingle dans sa tête.
Sans doute également que le mot « exploration » lui fit penser à autre chose et Shirin regarda un instant ailleurs, le rouge aux joues.
« Oui, je pourrais te montrer deux ou trois choses si cela t’intéresse… commença-t-elle en s’éclaircissant la gorge, essayant de chasser les pensées subversives qui lui venaient. Je veux bien pour l’encas, s’il te plait et si cela ne te gêne pas. »
Ce qui lui retirerait sûrement une autre pression qui n’appartenait qu’à elle, celle de se triturer la tête de savoir ce qu’elle pourrait apporter à manger et par là faire des calculs qui n’avaient pas lieu d’être pour quelqu’un qui se sentait bien avec son corps. Au moins n’aurait-elle pas le choix.
Puis, lorsque Roméo parla du pigeonnier, Shirin s’assura d’avoir repris contenance avant d’intégrer ce qu’il proposait… et de trouver l’idée excellente.
« J’aimerai beaucoup. commença-t-elle presque aussitôt qu’il eut terminé. J’aime bien écrire des lettres. »
Elle aimait écrire tout court, plus précisément de la poésie mais s’abstint de le lui dire. Peut-être que plus tard lorsqu’elle serait plus en confiance… Et puis, une autre idée lui vint, celle plus intime, peut-être un peu moralement grise de lire les lettres qu’il lui envoie, non pas avec ses yeux, mais avec ses mains. Sans doute ne devrait-elle pas faire cela, mais étant donné qu’il s’agissait de son courrier et donc à elle, elle avait bien le droit, non ? D’autant plus si cela lui permettait de mieux répondre à Roméo et mieux anticiper aussi ses réponses…
« Je t’écrirai avec plaisir. » sourit-elle et se disant sans doute qu’elle n’était pas très honnête. Devait-elle lui demander si elle pouvait ? Il fallait qu’elle y réfléchisse. Peut-être pourrait-elle poser la question à sa tante ou son père ce qui était convenable de faire avant de faire quoi que ce soit.
Ayant terminé sa tartelette, Shirin demanda finalement :
« Quand penses-tu être libre pour l’observatoire ? Peut-être pourrions-nous faire cela un samedi soir ? » Ils seraient plus libres sans doute étant donné que le lendemain était libre également.

D’une certaine manière, Roméo était assez rassuré de constater que Shirin était au moins sur la même longueur d’onde que lui. La vivacité à laquelle la sorcière avait répondu à sa proposition de se revoir à plusieurs reprises lui avait requinqué le moral, à défaut de chasser son angoisse. Il se sentait pleinement en territoire inconnu, et même si Shirin était loin d’être hostile à ses avances, Roméo ressentait malgré tout une certaine nervosité, comme s’il faisait quelque chose qu’il ne devrait pas faire. Mais le sourire de Shirin, ses yeux dans les siens, tout cela lui faisait quelque peu oublier que la Terre continuait à tourner pendant ce temps.

Il la vit rougir à ses mots, et se sentit comme sur un petit nuage, demeurant insensible à la gêne jusqu’aux prochaines paroles de Shirin, qui le fit ouvrir les lèvres en un petit o. Seulement maintenant, un peu tardivement, Roméo réalisait qu’il avait fait non pas de subtiles avances comme il s’en enorgueillait intérieurement un instant plus tôt, mais des avances bien plus directes, auxquels la sorcière semblait prendre un certain plaisir à répondre sur le même ton de fausse innocence. Réfléchissant à toute vitesse, Roméo poursuivit sur son idée précédente, cherchant cependant un moyen de revenir sur ses sous-entendus qui n’étaient pas voulus. Mais qui, malgré tout, n’étaient pas si malvenus ? Hésitant, il reprit contenance en même temps que Shirin, notant mentalement qu’il s’assurerait de venir les mains pleines, puisqu’il avait apparemment bien réussi à lui plaire concernant le goûter. S’époussetant les mains en les frottants l’une contre l’autre, il déplia sa jambe qu’il avait gardé sous lui, pour la détendre avant de s'asseoir en tailleur. « Pas de souci, je tâcherai de passer par les cuisines avant de venir. Ou peut-être pousserai-je jusqu’à Naille-haute voir ce que Mille-Feuille aurait à proposer. Sans offense à l’antique et honorable cuisine de Beauxbâtons, mais ce ne sont pas les premiers en pâtisserie. »

Alors qu’il lançait un sort pour ranger un peu tout le panier, il acquiesça à Shirin qui répondait encore une fois à l’affirmative à sa proposition de s’écrire. Et se demanda quasiment instantanément à quel moment il serait bon de lui envoyer une première lettre. Peut-être pas dès demain, quand-même ? Mais est-ce que d’ici la fin de semaine prochaine, ce ne serait pas un peu trop long ? Est-ce que trois jours n’était pas un peu révélateur ? Il relégua ses idées pour plus tard, et pris sur lui de la remercier à plus vive voix.
« Le plaisir sera mien. Ou partagé, au moins. » sourit-il à son retour, en la regardant d’un regard joyeux, enthousiaste et peut-être un peu trop intrépide. Son affection pour la sorcière semblait s’être enflammée depuis leur frayeur plus tôt dans la soirée, et il se demandait encore comme tout cela allait finir. Mais peut-être, ou plutôt sans doute, s’emportait-il. Il cligna des yeux et masqua sa petite surprise lorsque Shirin, visiblement rassasiée de sa tartelette, prit sur elle de lui demander quand il serait libre pour aller à l’observatoire. Il baissa les yeux pour réfléchir, repensant frénétiquement à son emploi du temps. Somme toute, avec la reprise des clubs, des cours, de l’événement de la rentrée qui se profilait à l’aube de la fin de la semaine prochaine, ce n’était pas si simple pour eux de se coordonner une soirée entre eux. Prenant une inspiration, il débuta ses paroles en réfléchissant « Alors… avec la prochaine fin de semaine qui va être chargée à Monaco, je dirai que ça nous repoussera au 26 septembre ? »

Regardant le visage si plaisant de la sorcière devant lui, il rajouta « Je ne pense pas avoir quelque chose aussi loin dans le temps, mais je pense que le mieux en se laissant le choix de la date et que l’on garde contact par lettres ? » Ce serait une bonne opportunité pour eux de garder le contact et d’avoir une raison pour Roméo de revenir vers elle de façon plus ou moins rapide. Il n’avait pas encore fixé son esprit sur le temps qu’il voulait prendre pour lui écrire, et il allait sans doute noircir quelques feuilles en cherchant ses mots. « En tout cas, je suis ravi de t’avoir croisé ce soir Shirin, que l’on ait pu discuter ainsi et… je suis désolé de t’avoir fait peur plus tôt. J’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur, je ferai attention. Et j’imagine que je devrais aussi te demander de garder pour toi ma sortie nocturne… » Ce n’était pas la première fois que Roméo demandait une telle faveur à tel ou telle étudiante de la maison. Au train où il allait, peut-être un tiers de la résidence de Soufre se doutait qu’il rodait dans les couloirs la nuit, les plus jeunes exclus. Shirin en était à présent du lot, même si elle semblait également adepte des sorties au clair de lune. À sa pensée, il reprit la parole, d’un ton plus : « Et je garderai pour moi que tu apprécies également les balades passées le couvre-feu, cela va de soi. » Entre fripons, il fallait se serrer les coudes, après tout. Leur prochaine rencontre ayant également lieu de nuit, il se demanda s’il ne ferait pas mieux de prendre sa cape avec lui pour la prochaine fois. Mais ils devraient se serrer en dessous, à la réflexion.

Acquiesçant lorsque Roméo parla de passer aux cuisines avant d’aller à leur… rendez-vous, Shirin lui sourit. Elle était tentée de lui dire de ne pas trop se prendre la tête avec le repas, qu’elle aimait tout, mangeait tout. C’était d’ailleurs bien là le problème au vu de ses crises. Mais elle se dit qu’il avait sans doute une idée précise de ce qu’il voulait. Aussi ne souhaitait-elle pas le couper dans son élan.
L’idée des lettres enthousiasma Shirin. Si l’écriture était un exutoire comme un autre, elle trouvait que s’échanger des lettres était toujours très intime et bien utile avec leurs emplois du temps respectifs. Elle se promit de lui en envoyer une très bientôt en se demandant ce qu’elle pourrait bien lui dire dedans. Mais elle sentait une impatience certaine la saisir à l’idée d’apprendre à le connaître par ce biais. Et sans doute le fait qu’il était tout aussi enthousiaste qu’elle la fit sourire un peu plus sans le quitter du regard.
Bien qu’incertaine de savoir si partager un moment à l’observatoire avec lui était un rendez-vous galant, Shirin se promit de potasser son sujet. Elle voulait l’impressionner avec ses connaissances et pourquoi pas quelques anecdotes. Elle était une al-Farizi après tout et elle devait se montrer à la hauteur de ce nom. D’autant plus envers un noble comme Roméo qu’elle était censé servir finalement. Se posait donc la question de la date, Shirin avait complètement oublié Monaco. Effectivement, elle ne voyait que la fin du mois pour un moment à deux. Ce n’était pas plus mal finalement, ils auraient le temps de converser par lettres.
« Faisons cela le 26, alors. » approuva-t-elle simplement, un léger sourire sur les lèvres. « Et oui, tu as raison. Les lettres sont faites pour cela après tout. »
Redevenant silencieuse, elle écouta, un peu flattée et rougissante qu’il réitère le fait qu’il était content de l’avoir recroisée, un peu surprise qu’il s’excuse de cette rencontre qui lui avait fait peur. En revanche, elle ne fut pas le moins surprise qu’il lui demande de garder cette sortie nocturne pour elle. Techniquement, il s’était aventuré après le couvre-feu hors de son dortoir. Elle aussi, l’aurait-elle fait si elle n’avait pas été arrêtée dans son élan. Elle ne put néanmoins se mettre à rire un peu à sa dernière phrase et répondre, un brin malicieuse :
« Ton secret est sûr avec moi. »
Constatant qu’il avait tout rangé, Shirin regarda l’heure à l’horloge de la salle commune. Il se faisait tard, elle avait satisfait sa crise de nourriture. La culpabilité disparaissait à l’idée que c’était à cause de cela qu’elle avait pu recroiser Roméo et donc programmer ce prochain rendez-vous ainsi que ces lettres. Elle savait que demain, ce ne serait pas la même chose quand elle serait face à son assiette et aux remords. Mais elle préférait rester sur la note positive que lui offrait Roméo et elle se leva alors.
« Je te vais retourner dormir. Merci pour la tartelette. Elle était délicieuse. »
Lui adressant un dernier sourire, elle hésite un instant, puis ajoute :
« J’ai hâte de ce rendez-vous et de recevoir tes lettres. »
Puis, doucement, elle remonta alors vers son dortoir, un léger sourire aux lèvres, non sans se demander dans quoi elle s’embarquait.