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Elle se sentait encore un peu fatiguée de sa nuit. Shirin avait mal dormi sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi et ce matin, elle avait eu l’impression que la nourriture était sa seule échappatoire. Elle détestait se réveiller avec cette impression, cette sensation, et la culpabilité qui allait avec. Mais elle n’avait pas craqué, comme elle le disait. Elle avait pris un petit déjeuner « normal » et était allée au cours d’Histoire de la Magie sans prendre quoi que ce soit d’autre à grignoter. Pour combien de temps arriverait-elle à résister à cette pulsion ? Tant qu’elle s’occupait l’esprit, tant qu’elle arrivait à trouver la parade, tout irait bien.
Et quoi de mieux qu’un cours d’Histoire de la Magie, sa matière préférée, mais aussi de rester à côté d’Harlan, un ami de longue date.
Mais sa chaise était vide à ses côtés. C’était suffisamment inhabituel pour que Shirin s’inquiète un peu. Essayant de rester concentrée sur le cours, elle ne pouvait tout de même s’empêcher de regarder anxieusement la chaise d’Harlan. Ca n’arrangeait rien non plus à ce qui se passait dans sa propre tête. Expirant un peu, Shirin commença à sentir qu’elle se trouvait des raisons. Si elle faisait un détour en cuisine pour prendre quelque chose à manger, n’importe quoi, elle pourrait manger moins ce soir. Le comportement compensatoire de son excès lui revint et elle faillit se dire que son cas était désespérée quand elle sentit enfin la présence d’Harlan à ses côtés.
Tournant la tête vers lui, Shirin lui jeta un petit regard inquiet. Il semblait essoufflé et dans un drôle d’état de réveil comme s’il venait en effet à peine de se lever.
« Ne t’en fais pas. » lui dit-elle néanmoins pour le rassurer.
Elle regarda de nouveau le professeur et entendit la question d’Harlan. Elle s’apprêta à répondre, ne remarquant pas l’air préoccupé d’Harlan quand elle sentit un autre regard sur eux. Se mordant la lèvre, elle plongea le nez dans son manuel et attendit un peu avant de souffler à l’étudiant à ses côtés :
« Je te passe mes notes à la pause. »
Redevenant silencieuse, Shirin se concentre sur le cours. Sa propre pression semble s’apaiser avec la présence d’Harlan. Elle lui donne une indication ou deux au moment où le professeur leur dit de se mettre à deux.
Reposant cette fois-ci, son regard sur Harlan, elle l’observe un instant avant de lui souffler :
« Tout va bien ? »
Bien évidemment qu’elle s’inquiète, comme l’amie qu’elle était. Ce n’était définitivement pas dans les habitudes d’Harlan d’arriver en retard et à y réfléchir, elle ne l’avait même pas vu au petit déjeuner de ce matin.
Essayant de ne pas trop attirer l’attention sur eux et donner l’impression au professeur qu’ils travaillaient, Shirin se rapprocha un peu d’Harlan et fit mine de prendre son manuel à lui qu’il avait touché quelques secondes auparavant.
Elle ne réalisa pas que lorsque ses doigts effleurèrent le livre, un de ses gants avait un trou.
Ce fut comme si elle était propulsée ailleurs. Les mains qui se referment sur le livre ne sont pas les siennes. C’est celles d’Harlan. A la fois dedans et à côté de lui, elle le voit ranger à la va vite son livre dans son sac. Et puis, elle le suit, à comme si elle était en haut d’une tour. Mais c’est ses émotions qu’elle ressent comme si elles étaient les siennes. La peur, l’angoisse. La douleur… L’affreuse douleur quand, les yeux écarquillés, elle le voit quand il arrive enfin dans cet endroit qui lui est familier à lui. Dehors, elle le voit aussi, c’est la pleine lune. Et puis, les dents, les poils, la forme de la bête du Gévaudan.
Les réflexes sont une chose merveilleuse. Elle ne hurle pas de peur dans cette salle de cours silencieuse. En réalité, quand elle se force à revenir pour ne pas assister au reste, pour ne pas voir, ne pas ressentir, Shirin se mord la joue à en sentir le goût métallique. Tout se remet en place. Elle n’est plus dans le souvenir d’Harlan mais… elle est paralysée de peur, figée sur sa chaise, et elle ne se rend pas compte qu’elle saigne du nez, conséquence aléatoire de son don. C’est sur la page du manuel d’Harlan que son regard est bloqué, l’effroi se lisant sur son visage.