Amaury, 9 ans

Amaury se tortilla sur sa chaise, cherchant à attirer l’attention de sa mère. Les madames de Bhopal l’avait conviée pour un thé de l’après-midi. Sa maman avait décidé de l’emmener avec elle, même si Motilal était occupé. L’héritier grandissant trop vite pour ses costumes, ils devaient aller au tailleur, à Paris, en début de soirée – et le réseau de cheminées passait par la capitale des non-magiques. Amaury aimait bien le palais Vaissier, avec ses toits amusants, ses jolis motifs partout sur les murs, et ses riches couleurs. Ça ne ressemblait à aucun château de ses cousins ou de ses amis, et en plus, il y faisait frais. Dans le Médoc, on mourrait déjà de chaud.

Le blondinet lança un regard vers les filles assises à côté. Kamala paraissait sage, Prysha commençait à soupirer, Sohalia regardait partout avec le nez plissé, et Madeleine louchait sur le dernier morceau de gâteau. En se mordillant les lèvres, il se tourna à nouveau vers la plus jolie des duchesses, qui avait piqué dans ses cheveux une marguerite qu’il lui avait offert sur le chemin. Maman Pénélope étant plongée dans une discussion animée, il décida finalement de se lever et de la rejoindre, déposant ses mains sur ses genoux. « Pardon d’interrompre votre conversation d’adulte », s’excusa-t-il, tout penaud, alors que les regards des trois femmes convergeaient vers lui. « Pouvons-nous aller jouer, s’il vous plait ? » Sa mère tourna le menton vers la maîtresse de maison, et Lucie de Bhopal leur donna l’autorisation de s’éclipser – ce qu’ils firent dans un joyeux bruit de raclements de chaises et de pas précipités sur le parquet, sous les réprobateurs regards maternels.

Une fois qu’ils furent dans le couloir, à l’abri de la surveillance rapprochée, Amaury regarda d’un air interrogateur les De Bhopal et Madeleine. Il ne savait pas trop à quoi s’amuser quand il n’y avait que des filles. Sa maman lui disait toujours de faire passer les demoiselles avant lui, alors il leur demanda bien sagement : « À quoi voulez-vous jouer ? » Il espéra très fort qu’elles ne choisiraient pas la dinette ou les poupées. Lui, il avait envie de courir partout.

Amaury, 9 ans

Kamala proposa de jouer aux devinettes, et si Amaury tenta de cacher son désappointement, celui-ci fleurit sur sa frimousse comme un bouquet de fleurs tristes. Heureusement, Kamala était gentille et demanda plutôt à sa sœur si elle voulait jouer dehors. Prysha le fit sursauter en hurlant son enthousiasme, et sous son regard déconcerté, se lança dans une imitation de vers de terre. Amaury ne trouva pas le comportement de la cadette convenable (comme le disait souvent sa préceptrice). Il se demanda s’il agissait pareil, quand il était petit. Sa maman disait toujours que oui. Elle aimait raconter que son fils lui avait causé énormément de soucis, ce dès qu’il esquissait l’ombre d’une bêtise – comme rechigner à manger ses endives. Puisque les mamans ont toujours raison, il voulait bien la croire, mais il avait tout de même un peu de difficultés à se représenter la chose !

Nonobstant (il aimait beaucoup ce mot compliqué), Prysha était un bébé, c’était donc normal qu’elle agisse comme un bébé. Alors Amaury se retint de lui dire de ne pas se rouler par terre, même si le sol était recouvert par un tapis. Maman Pénélope lui avait aussi demandé d’être gentil avec les plus petits, même s’ils veulent jouer au lombric – scénario que la duchesse n’avait cependant pas du tout anticipé. En tout cas, l’héritier préférerait encore les devinettes – même s’il fallait remercier les vers car sans eux, il n’y aurait pas de terres fertiles et donc, pas de vin. Ce serait dommage, Amaury aimait déjà beaucoup la spécialité familiale – même si ses parents ne lui servaient que de tous petits verres. Cependant, contrairement à Madeleine, le jeune sorcier n’irait pas jusqu’à considérer les vermisseaux comme mignons. Les boursoufs, c’était mignon, les poules ou les cailles aussi… Et les chevreaux, trop adorables ! Il aimait beaucoup câliner et jouer avec ceux de leurs champs.

Amaury fronça à nouveau les sourcils quand Sohalia se mit aussi à leur crier dans les oreilles. Mais elle fit une proposition qui lui conféra un large sourire. Il battit des mains en se retenant lui aussi de sautiller sur place. Jouer à être qui on veut ! Madeleine fût si réjouie par l’idée qu’elle lui en donna un joyeux coup de coude. Ouille ! « Ce n’est pas grave Maddy. » La rassura-t-il, quoiqu’elle ne parut pas très inquiète.

Sohalia désirait être une fée et Madeleine une demoiselle de compagnie. Et lui ? Il voudrait bien être duc, comme son père ! Ou alors… « Je veux être un chevalier ! » exposa-t-il avec enthousiasme. Sans peurs et sans reproches, comme dans les histoires qu’on lui narrait, le soir ! Il s’interrompit un instant et réfléchit. Il allait avoir besoin d’une noble dame ! Il se tourna vers l’aînée des De Bhopal avec espoir. « Kamala, tu veux bien être la princesse ? » Après tout, elle aimait beaucoup commander. Et puis, même si la fillette n’était pas toute blonde comme dans les illustrations de son livre de contes, il trouvait qu’elle ressemblait beaucoup à une princesse.