Les tentures de soie pâle tamisaient avec élégance la crue lumière de septembre ; les rayons assagis éclataient en centaines de lueurs chatoyantes sur les lustres de cristal. Illuminée, la collection de porcelaines anciennes exposée sur les étagères dévoilait ses fins motifs. Présent éphémère d’une élève, des roses de Ronsard s’enroulaient lascivement autour des pieds des tables et des fauteuils, ajoutant encore au faste de la pièce. Le boudoir de Madame Chegaray était un somptueux écrin de féminité ; les biens-nés y perdaient facilement la notion du temps, portés par les enchantements des conversations secrètes. Les intrigues semblaient autant tissées dans les tapisseries que ses précieux fils d’or.

Blanche avait proposé à son cousin des retrouvailles autour d’un thé anglais, mais la jeune de Noailles cumulait plus de dix minutes de retard. Amaury lança un regard vers l’horloge murale, se demandant s’il devait se replonger dans son travail ou profiter de ces quelques instants de paix pour reposer son esprit. Un regard songeur vers la table marbrée où s’étalait l’ébauche de son mémoire de fin d’étude, déjà rédigé au premier tiers. Quelques ratures sporadiques et des annotations rédigées à l’encre bordeaux mouchetaient les caractères sombres, jusque dans le titre : « De l’alchimie des saveurs : la gastronomagie au service des sens, des émotions et du corps. » Un sujet traditionnel pour un de Castel, autrement portés sur l’œnologie ou l’agriculture ; le dernier thème créatif sur lequel il pourrait travailler, à Beauxbâtons, avant de conclure sa scolarité et d’assister son père dans la direction de la Corporation. Il s’était interrompu dans la partie traitant de l’exploration des arômes complexes et des combinaisons audacieuses, afin de privilégier la rédaction d’une correspondance. Le billet, couché sur un papier beaucoup fin, était plié et prêt à être cacheté de son sceau, fonction première de la chevalière qui ne quittait jamais son annulaire droit – la bague était portée avec plus d’aliénation qu’une alliance.

L’hésitation fut de courte durée. Dans le coin de son champ de vision, Amaury vit le portrait dissimulant l’entrée du boudoir pivoter sur lui-même. « Ah, ma chère. Votre arrivée sonne l’heure du… » Ses yeux ne furent pas graciés par la vision de la jeune femme à la peau diaphane, mais par une autre, moins familière et tout en charme. La surprise s’invita brièvement sur son visage, radouci une fois la méprise réalisée. « Mademoiselle Berry. » Un sourire affable s’ancra ses lèvres alors qu’il se levait de son fauteuil pour saluer la bourgeoise — devant laquelle, cependant, il ne s’inclina pas. « Pardonnez ma confusion. J’attendais Blanche de Noailles, mais elle semble avoir été retenue. » Une cousine, du reste, qu’ils avaient en commun. La galanterie et l’étiquette dictèrent naturellement leur mouvement à ses muscles ; il tira le fauteuil en face du sien, dans une invitation silencieuse à prendre place.

Les Berry restaient dépourvus de particule de noblesse, mais ils en incarnaient davantage les valeurs que d’autres familles – au hasard, les de Lanzac. Mademoiselle Louise, par son éducation et son élégance, était une digne représentante des siens. Amaury hocha la tête en signe de gratitude lorsqu’elle Louise s’excusa au nom de Blanche, acceptant volontiers l’explication qu’elle lui offrait. « Je comprends qu’un imprévu puisse survenir et regrette que vous ayez dû jouer la messagère. » Sa voix était douce, se fondant dans l’ambiance du boudoir, tandis qu’il s’installait à nouveau dans son fauteuil.

À la question, le jeune aristocrate acquiesça. « Je serais enchanté de partager un moment en votre compagnie, Mademoiselle Berry. » Il s’agissait de la moindre des choses après que leur cousine ait dérangé son temps libre. « Nous avions prévu un thé de l’après-midi à l’anglaise. Il serait impoli de commencer les collations sans Blanche, mais une tasse ne causera de tort à personne. » Perçait dans son ton la légère déception de ne pouvoir passer directement aux sandwichs, scone et desserts. Sans déroger aux règles de la semaine, Amaury se levait tôt le samedi et mangeait de bonne heure, si bien qu’une collation lui était nécessaire pour tenir jusqu’au repas.  

« Gausselmus ? » Répondant à son appel, un elfe de maison transplana dans la pièce, signalant de ses grands yeux curieux qu’il était prêt à accueillir leur requête. Amaury ouvrit la bouche et se ravisa. « Aimez-vous le thé noir ? » s’assura-t-il auprès de Louise, jugeant inutile de préciser que celui-ci serait accompagné de lait, de sucre ou de citron. Quand la charmante jeune femme eut donné son approbation, le sorcier se retourna vers Gausselmus. « S’il vous plaît, préparez du thé à l’anglaise pour Mademoiselle Berry et moi-même. » L’elfe opina et s’éclipsa avec la promptitude typique de ces créatures magiques.

Par enchantement, la table baissa de niveau, l’odeur des roses perdit quelques notes entêtantes, et un service vola des étagères pour se disposer devant eux. Amaury eut tout juste le temps d’écarter ses écrits ; il rangea son brouillon dans son sac et le billet dans la poche intérieure de sa veste. « J’ai entendu quelques rumeurs quand au retour en France d’un tableau rare, acheté par les américains il y a deux siècles. » Lança-t-il pour combler le silence, en attendant le retour de l’elfe. L’évènement était certainement dû aux Berry.

Gausselmus réapparut rapidement avec un plateau argenté. Furent déposés sur la table le lait frais, le pot à sucre, les tranches de citron, ainsi que la pièce maîtresse du service, la théière d’où s’échappait de délicats arômes. L’elfe fût remercié après avoir conseillé aux jeunes gens de laisser les feuilles infuser davantage. Prenant le rôle d’hôte – normalement réservé à Blanche, Amaury s’enquit de la question d’usage avant de servir sa camarade du feu. « Préférez-vous votre thé fort ou délié ? »