La signification de la conversation la perturbe, encore aujourd’hui. Elle suppose qu’elle n’était pas vraiment censé être témoin de la discussion, des discussions. Elle n’était pas censée rentrer pile au moment où Claire prenait le thé avec son père. Elle n’aurait probablement pas dû rester derrière la porte du salon de thé lorsqu’ils parlaient. Elle ne l’aurait probablement d’ailleurs pas fait si elle n’avait pas entendu le prénom de Chihiro, puis le sien. Celui de sa soeur lui avait fait ralentir le pas, juste au cas où elle pourrait entendre quelque chose à lui rapporter. Le sien l’avait fait s’arrêter pour écouter. La conversation avait été courte (bien que Manami ne soit pas sûre de quand elle avait commencé). Courte, précise et sans appel. Manifestement oui, elle est arrivée à la fin. Ils parlaient de fiançailles mais jamais aucun prénom, nom n’a été prononcé. Un nom de famille aurait suffit pour qu’elle puisse faire des pronostiques mais rien. Claire semblait sûre de son choix, et rien qu’avec ça, elle avait probablement déjà vendu son futur à quelqu’un. Manami n’était pas bien sûre de savoir comment elle se sentait face au fait de ne pas savoir qui était l’acheteur.

La deuxième discussion avait été entre son père et Haruo. À peine commencée qu’elle s’était terminée, son frère reconnaissant ses approches, ses pas ou autre chose d’elle manifestement et ayant mis cours à la conversation en comprennant que la petite espionne trainait derrière la porte. Encore une fois, le mot fiançailles et son prénom avaient été prononcé, sans plus d’information. Manami n’avait pas su quoi dire lorsque la porte s’était ouverte sur Haruo et son père déçu de son comportement. Elle était donc retournée dans sa chambre, les yeux au sol, honteuse.

Aujourd’hui encore, elle n’a pas plus d’informations et sa tête tourne pour essayer de trouver des indices dans les mots, dans les phrases, dans les discussions qu’elle a eu avec son père ou Haruo depuis qu’elle les a surpris. Rien. Ils sont muets comme des tombes et ont des années d’expériences pour cacher ce qu’ils ne veulent pas voir dévoilé. Elle doit chercher ailleurs. Et elle sait parfaitement par où commencer.

Lorsqu’elle s’approche de Lancelot, elle sait qu’il n’a probablement aucune idée de la réponse qu’il pourra plus tard lui donner. Ça ne l’intéresse pas lui, les fiançailles et autres choses de noblesse. Il essaye de s’échapper et d’y échapper. Manami trouve ça fascinant qu’il ait réussi jusqu’à encore maintenant. Elle s’assoit à ses côtés sur un des canapés sans vraiment lui demander son autorisation. Pour une raison qu’elle ne connaît pas, ils sont seuls dans la pièce et Manami laisse donc son paraitre derrière elle et écrase sa tête contre le dossier bas du canapé, le visage tourné vers le ciel. “Lancelot, je crois que tantine m’a trouvé un mari.” Avec un peu de chance et un peu de discussions de son côté de la famille, il saura peut-être lui donner un prénom, un nom. Quelque chose. N’importe quoi.

Plongé dans sa lecture, au calme dans la résidence mercure en attendant que le temps fasse son œuvre tout en prenant un café sur la table. Dans ses mains, il tenait le roman Une étude en rouge, premier roman d’Arthur Conan Doyle racontant les péripéties du détective répondant au nom de Sherlock Holmes. Une histoire palpitante, bien qu’éloignée des romans de cape et d’épée et d’aventures qui avaient auparavant attiré son regard. Son goût pour ces derniers n’avait pas changé, il n’avait fait qu’ajouter de nouveaux horizons à ses histoires préférées. Si ces derniers temps, ses parents lui avaient ressassé leur envie qu’il prenne plus au sérieux ses probable futurs responsabilités au sein de la famille et aux côtés de la royauté, il n’était pour sa part vraiment pas de cet avis et le faisait savoir en esquivant nombre de discussions qu’ils essayaient d’avoir avec lui en affichant leur air sérieux des mauvais jours.

Entendant des pas arriver non loin de lui, il se retourna pour croiser le regard de Manami qui vint s’asseoir à ses côtés. Au vu de l’attitude relâchée dont elle faisait preuve, il n’eut pas besoin de regarder autour d’eux pour comprendre que personne n’était présent dans les environs, la jeune femme ne montrant cette facette d’elle qu’à de très rares élus. L’air songeuse, le regard vers le plafond, il n’en fallait pas plus à Lancelot pour qu’il ferme son livre, se doutant que quelque chose tracassait son amie. Après tout, il la connaissait depuis bien assez longtemps pour percevoir ce genre de choses avant même qu’elle n’énonce le problème qui la concernait. Un mari ? Même si dans leur cas, ce genre de nouvelle n’était pas des plus rares, le jeune homme ne pouvait faire autrement que se sentir désolé pour son amie que le statut de noble venait de rattraper. Probablement une des choses qu’il enviait à la roture, de pouvoir choisir en quelque sorte son futur, ou du moins la personne avec qui ils auraient à passer le reste de leur vie. Ce n’était pas toujours gagné mais ils avaient au moins cette liberté de plus.

« Ah… » Lâcha-t-il d’un ton grave, exclamation prouvant qu’il comprenait le problème que cela posait à son interlocutrice. « Et je suppose qu’on n’a pas jugé important de te demander ton avis ou même de te dire qui est « l’heureux élu » ? » Accentuant avec ironie les deux derniers mots. Non pas que son amie était un cadeau empoisonnée, mais personne n’était élu dans ce genre de cas, peu avaient véritablement la chance d’être heureux lors d’un mariage arrangé, ces derniers avaient plutôt tendance à attirer des sentiments de résignation et d’obligation. Se tournant légèrement vers elle pour montrer son intérêt dans la discussion, il présenta d’un geste simple la cafetière posée devant lui sur la table de la résidence. « Tu veux en parler autour d’un café ? A moins que tu ne veuilles un thé ? » Intrigué malgré tout, le jeune homme semblait déjà avoir envie de soutirer à son amie le moindre petit indice qu’elle pourrait lui donner quant à la possible identité de celui qui serait bientôt son fiancé, mais une autre question lui brûlait les lèvres et finit par sortir. « Et aussi… ça te va comme situation ? Je veux dire… Tu le prends comment ? »

Manami aime pas vraiment ne pas savoir les choses. Parfois, ça ne la dérange pas, lorsqu’elle se laisse porter par les informations et qu’elle se laisse porter par sa soeur. Parfois, comme dans ce cas présent, ça la dérange. Parce que cette fois-ci, ça la concerne directement. En général, Haruo ou Chihiro la préviennent de ce qu’il se passe quand ça la concerne, alors que là, Chihiro lui a rien dit et Haruo est dans la boucle mais lui a rien non plus. Elle essaye d’éteindre, ou tout du moins de diminuer, le sentiment de trahison qu’il ressent enver Haruo. S’il sait quelque chose, il devrait lui dire. Il l’a toujours protégé, il a toujours aimé parlé avec elle, ils se sont toujours tout confiés. Manami a apprit de sa propre bouche qu’il était amoureux de Kamala. Pourtant, quand ça concerne son avenir, quand ça concerne ses fiançailles, il garde ça pour lui. Vraiment, Manami a plus qu’à espérer que quelqu’un, à un moment, lui donne quelques infos. Elle a toujours su que ça arriverait un jour et a accepté qu’elle serait fiancé à un homme qu’elle n’aurait pas choisi. Elle préfèrerait quand même de pas découvrir son identité le jour de la cérémonie.

Le calme et la sérénitude qu’elle ressend alors qu’elle est à côté de Lancelot sont un cadeau. Deux jours qu’elle n’a pas trouvé un seul moment pour se poser et laisser tomber son masque. Peut-être même, probablement, qu’elle s’est hatée de la faire, laissant risque  que quelqu’un les trouve comme ça tous les deux. Elle est juste si fatiguée que certains jours, le corps reprend le dessus sur la loyauté et qu’elle a besoin de tout laisser tomber. Aujourd’hui est l’un de ces jours. Et Lancelot est une des meilleures personnes avec qui tout relâcher. En dehors de sa fratrie (et encore, ça se discute), il est une des personnes qui la connaît le mieux. Il l’a toujours accepté tel quel et a jamais remis en cause ses choix. Un bon ami comme ils se font rares. Parfois même un meilleur candidat comme frère que celui qu’elle a.

Sa réaction ne se fait pas attendre, dés qu’il la voit arriver, il ferme son livre et l’écoute. Il semble comprendre la gravité de la situation et lui pose tout de suite des questions pour en savoir plus. Une question à laquelle Manami ne juge pas utile de répondre par autre chose qu’un haussement d’épaules. Après tout, la question n’en était pas vraiment une, il connaissait déjà la réponse. Les aînés n’ont jamais eu comme coutume de partager leurs décisions avec les plus jeunes. Particulièrement lorsque ces décisions les concernaient. La décision d’une mariage et par conséquent d’un mari n’a jamais fait exception à la règle. Le seul contre exemple qu’elle puisse trouver est celui des fiançailles entre Kamala et Haruo. Mais la différence vient peut-être du fait que personne ne doutait qu’ils seraient heureux de la nouvelle.
Ça l’inquiète, Manami ; Est-ce que ça veut dire que pour elle, ils pense qu’elle refuserait ? Qui est cet homme avec qui ils veulent lui faire passer le reste de ses jours ? Est-ce que même, elle le connaît ? Après tout, son père s’est bien retrouvé marié à une femme venant d’un autre pays, est-ce que ça sera son cas, à elle aussi ?

Il lui propose un café, un thé mais elle secoue la tête, le visage toujours tourné vers le plafond. Elle est pas bien sûre, avec toutes les saletés qu’elle a balancé à de pauvres gens toute la journée qu’elle puisse avaler grand chose. Pas qu’elle ait avalé quoique ce soit depuis ce matin.

Enfin, il lui demande si ça lui va comme situation, comment elle le prend. Elle le prend… Elle le prend pas.
Elle tourne sa tête vers lui, les yeux tristes, la moue entière vide “Je sais pas… J’ai peur. Tu sais, on entend des choses… Y’a des maris qui sont… Enfin, j’ai peur quoi. J’aurais voulu…” Elle aurait voulu se marier par amour. Elle ne finit par la phrase, secouant la tête comme pour s’affirmer l’impossibilité de la chose. “Je pensais que j’aurais encore quelques années.” Après tout, Chihiro n’était pas fiancée, et si son autre frère l’est, elle n’en est pas au courant. Les autres filles, elles sont fiancées à vingt-deux, vingt-trois ans, pourquoi elle si jeune ?

Sa question rhétorique n’attira pour simple réponse qu’un haussement d’épaules, confirmant l’évidence qui ne lui plaisait pas. Lui qui n’avait pas la fibre à suivre le chemin tout tracé de sa famille n’était de toute évidence pas pour suivre des traditions qu’il trouvait pour le moins désuètes et qui enlevaient le libre arbitre aux jeunes adultes qu’ils étaient. Cependant, ce dont avait besoin Manami n’était pas de son avis sur la question des mariages arrangés mais bien d’un soutien sur celui qu’elle semblait avoir à subir avec un inconnu. La peur et l’appréhension qu’elle ressentait se voyait dans son regard, dans le manque de retenue dont elle faisait preuve, trop inquiète pour ne pas maintenir le masque qu’elle semblait porter chaque jour à Beauxbâtons. Il était vrai que certains mariages arrangés ne se passaient pour ainsi dire pas au mieux et que des maris n’ayant que faire de leurs femmes et de leurs envies existaient, certains ne voyant en elles qu’un poids supplémentaire sans prendre en compte qu’elles n’avaient pas voulu de cet arrangement non plus.

« Ne t’inquiètes pas trop pour ça, tu n’auras qu’à lui dire que tu as de bonnes relations, et au pire, envoies-moi une lettre. » Dit-il en se voulant rassurant. Si sa famille n’était pas connue pour jouer de son influence et participer aux petites querelles entre noble, il n’hésiterait aucunement à déroger à cette règle si cela lui permettait de défendre ses amis. Leur proximité avec la royauté mais aussi ses talents de duelliste et d’escrimeur faisaient partie de ces choses qu’il mettait volontiers au service de ses proches et qu’il utiliserait si jamais le futur époux de son amie s’avérait croire qu’il avait plus d’autorité qu’il n’en avait vraiment.

« Et peut-être que tu as effectivement encore un peu de temps. » Dit-il alors, plus songeur et réfléchit que lors de ses précédentes prise de parole. Regardant le liquide sombre au fond de sa tasse, il continua sur ses paroles à première vue sibyllines. « Si tout était déjà fait et conclu, je pense que ton futur fiancé t’aurais déjà probablement envoyé une lettre, trop heureux de ne plus avoir à courtiser pour se marier et perpétuer sa lignée… Donc il y a deux hypothèses : soit rien n’est joué et il n’est pas au courant même si les négociations vont bon train, ce qui veut dire que tout peut encore être annulé, soit il est au courant et ne veut pas de ces fiançailles, ce qui peut encore te laisser une échappatoire. » Relevant les yeux vers son interlocutrice, il lança un sourire qui se voulait rassurant. Une échappatoire qu’il ne manquerait pas de trouver, des failles qu’il pouvait utiliser sur une rumeur où des noms ne demandaient qu’à être mis sur des concepts. Qui était le fiancé ? Pourquoi tout semblait aussi caché ? Pourquoi la tante voulait marier Manami avant Chihiro ? Et si Lancelot ne pouvait pas dire le fond de sa pensée sous peine de passer pour un rustre, il ne pouvait cependant pas taire dans son esprit une réflexion simple : Pourquoi diable s’occupait-elle du mariage des autres quand cette même femme n’avait pas été capable de se trouver elle-même un parti pour se marier ? N’aurait-elle pas mieux fait de balayer devant sa propre maison avant de venir jouer les entremetteuses avec ses neveux et nièces ? Cette femme n’était pas véritablement quelqu’un qu’il portait dans son cœur et encore moins en cet instant.

« Je demanderai à ma famille si jamais ils ont entendu parler de cette affaire. Pour une fois que je n’esquive pas le sujet, ils ne seront que trop ravis de me donner des détails que l’on peut avoir manqué. » Il avançait ses pions sur l’échiquier de son esprit, imaginant déjà les discussions qu’il devrait avoir pour lever le voile sur cette affaire de fiançailles dont était victime son amie, s’imaginant déjà être le Sherlock Holmes de cette affaire, douce ironie.

Elle se demande si elle serait déjà dans les petits papiers pour être fiancées si elle était née dans une autre famille de nobles ? De ce qu’elle sait, les de Bhopal ont attendu que Kamala ait vingt-trois ans pour commencer à parler de ses fiançailles. En plus, c’était facile et ils auraient pu commencer à en parler d’avant au vu du choix final et de l’évidence du futur couple. Alors pourquoi Manami a pas eu cette chance ? Elle pense que c’est probablement à cause de Claire. Elle aimait bien la Marquise lorsqu’elle était enfant. Elle n’est plus bien sûre de l’apprécier et ce, depuis toutes les histoires avec Chihiro. Puis maintenant, y’a ça, aussi. Manami a toujours su que ça arriverait un jour mais elle pensait pas que ce serait là, maintenant. Jamais elle n’aurait pu imaginer que ce soit aussi tôt. Peut-être qu’elle espérait un peu que quelque chose se passe, qu’il y ait une révolte ou que le monde s’écroule avant qu’elle ne soit fiancée. Elle aurait pu choisir un homme qu’elle aimait comme époux. Oh pas qu’elle aime quelqu’un, non. Il y a bien Eliaz mais loin d’être de l’amour, c’est avant tout une attirance. Il regroupe en un être, en un homme, tout ce que Manami recherche dans un amoureux : la gentillesse, la galanterie, l’humour, le romantisme, l’attention. Elle ne le connaît pas très bien encore et il a probablement aussi des défauts mais elle ne les a toujours pas vu et continuera probablement à ne pas les voir si elle ne les considère pas comme rédhibitoires. Il se trouve que dans le petit rêve rose qu’elle s’est faite d’Eliaz, des défauts rédhibitoires, il n’en a pas et n’en aura jamais.

Qu’importe ce qu’elle pense, qu’importe qui elle aime, ou aimera ; Maintenant, c’est terminé.
Lancelot la rassure rapidement sur sa présence constante à ses côtés. Si jamais l’homme qu’elle doit épouser venait à être méchant avec elle, lui dire qu’elle était proche des d’Ornessan le calmerait probablement, il a raison. Ça la rassure vaguement mais ne lui retire pas cette sensation d’injustice et de tristesse profonde. Non. De détresse montante.

C’est ce qu’il dit ensuite qui fait tendre l’oreille à Manami. Du temps ? Non, non elle n’en a plus, d’où le but premier de cette conversation d’ailleurs. Claire va la fiancer et tout sera fini. Fini la liberté, fini Eliaz, fini les potions, ses chères potions. C’est pourtant avec une attention grandissante au fil de ses mots qu’elle l’écoute. Ce qu’il dit fait sens mais ne lui semble pas vraiment réaliste. Peut-être qu’il n’est toujours pas au courant mais dans ce cas ça ne saurait tarder. Puis si ça se trouve, il préfèrera ne pas lui envoyer de lettres et juste être invité à son domicile directement pour une rencontre chaperonnée. Pour l’autre possibilité, Manami se dit que même si son potentiel fiancé n’en veut pas, elle est pas très sûre qu’il ait le choix. Après tout, elle n’est pas naïve, elle sait que les femmes ont généralement moins leur mot à dire que les hommes dans leur monde, mais les hommes ne l’ont pas tout le temps non plus. Manami se demande si Haruo aurait accepté des fiançailles avec quelqu’un d’autre que Kamala (probablement que non) et ce qu’il se serait passé s’il avait refusé. Manami se doute bien que Claire aurait pris la décision de quand même les fiancer. Parce que chez les du Chesnes, c’est comme ça : ce que Claire veut, décide, Claire a.

Il lui sourit et Manami sourit en retour. Elle a toujours beaucoup aimé le sourire de Lancelot, elle l’a toujours trouvé réconfortant, rassurant, comme une assurance qu’elle pourrait lui faire confiance toute sa vie et que jamais il ne la trahirait. Personne ne pourrait sourire comme ça à quelqu’un qu’il pourrait trahir.
Il lui propose rapidement ensuite de demander des informations à sa famille, savoir s’ils sont au courant de quelque chose. Manami rigole doucement lorsqu’il lui rappelle qu’il esquive sans cesse le sujet.
Et une pensée passagère, intruse qui s’en va aussi vite qu’elle est venue :
L’esquive d’une discussion n’est de mise que lorsqu’une discussion est recherchée. La discussion que les parents de Lancelot cherchent à avoir avec lui sur le sujet… Le timing semble…

La pensée lui échappe, son esprit refusant concrètement et définitivement d’imaginer une idée aussi saugrenue.

"Merci Lancelot, si tu pouvais trouver quelque chose, je t'en serais éternellement reconnaissante. Je sais que ce genre de discussions ne te met pas à l'aise alors... Merci beaucoup."

Il pouvait sembler à première vue que ses paroles tombaient dans des oreilles qui ne pouvaient les entendre. Après tout, c’était bien souvent la coutume que les jeunes n’aient pas leur mot à dire sur leur propre futur et cela amenait souvent ces derniers à un certain fatalisme auquel lui se refusait de succomber. Peut-être s’avouait-elle déjà vaincue par l’autorité de sa tante qui lui semblait insurmontable, mais lui n’allait pas abandonner une amie qui avait des problèmes, et s’il trouvait une solution quitte à s’opposer à certaines conventions et grands noms de la Noblesse à son échelle, il le ferait.

Tout de même réussit-il malgré les mauvaises nouvelles à lui voler un sourire, ce qui voulait dire que tout espoir n’était pas perdu, peut-être même avait-il réussi à rallumer malgré tout une lueur d’espoir chez la jeune femme quant à sa situation. Elle le remercia, lui disant qu’elle lui serait reconnaissante s’il réussissait son entreprise, ce qui le poussa malgré lui à afficher un air confiant.

« Ho ne t’inquiètes pas pour ça, je trouverai quelque chose, et je n’ai pas besoin que tu te sentes endettée pour ça, ce sont des choses normales entre amis. Tu en ferais probablement de même pour moi, je me trompe ? » Peut-être simplement à son échelle, avec les ressources qu’elle avait, mais cela était du pareil au même pour lui, l’intention aurait été là. S’il n’avait pas encore fait le lien entre la discussion que voulaient avoir ses parents avec lui et ce qu’avait entendu Manami, le jeune homme n’en était pas dupe pour autant et il savait que dans tous les noms potentiels pour le possible prétendant, le sien n’était pas à négliger, mais une chose était sûre : si Claire du Chesne pensait pouvoir l’amadouer avec de telles manigances, elle avait fait une grossière erreur de jugement sur sa personne et la confrontation entre tout ce beau monde risquait fort d’être déplaisante pour certains d’entre eux.

« Et maintenant, si tu veux te changer les esprits, que dirais-tu de me parler de tes dernières lectures ? En ce qui me concerne, je me suis remis à lire La Comtesse de Cagliostro. C’est toujours un plaisir de lire des aventures d’Arsène Lupin. » Dit-il avec amusement. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’il parlait de livres avec Manami, loin de là d’ailleurs, et si cela pouvait lui permettre de penser à autre chose quelques instants, il ne s’en priverait pas. Il ne savait pas si les aventures du gentleman cambrioleur attiraient la jeune femme mais c’était de ces histoires qui plaisaient à son esprit, satisfaisaient sa soif d’aventure, de mystères. Quelle ironie du sort était-ce lorsque cette histoire racontait la course contre la montre entre le jeune gentilhomme futé et sa Némésis, une comtesse qui n’aimait pas que la situation lui échappe peu importe le prétexte.

Et si ? Et si ? Elle arrive pas à s’imaginer épouser quiconque, ni un inconnu, ni un des nobles toujours célibataires qui existent dans la noblesse, mais encore moins Lancelot. Ce qu’elle ressent pour lui se rapproche de façon partiulière bien trop de ce qu’elle ressent pour Haruo. Elle le considère comme un grand frère, comme un guide, comme un confidant. L’idée même de l’épouser. Pire, de devoir concevoir des rejetons avec lui… Brrrr.
Après, à relativiser, elle s’ennuyerait probablement moins qu’avec d’autres membres de la noblesse dont les noms lui sont passés à l’esprit depuis qu’elle sait que ses fiançailles sont discutées. Amaury de Caster, par exemple, serait probablement une catastrophe. Pas qu’elle ne l’apprécie pas du tout, mais elle est certaine que leur couple serait un désastre. Ils ne s’entendent que parce qu’elle joue un rôle et il ne la connaît que comme ça. Comment réagirait-il face à sa vraie personnalité. Puis elle, pourrait-elle supporter de vivre toutes sa vie avec un homme avec une personnalité d’un vieux de cinquante ans ? Il est beau, oh ça. Ça, il est beau.
Mais il n’est pas Eliaz.
Et il a l’air…ennuyeux.

Peut-être que Lancelot serait pas si mal, au final.

Pour l’instant, elle se contente de le remercier d’essayer de trouver des informations. Qu’importe ce qu’il trouve. Elle sait, depuis qu’elle est petite que c’est ce qui est attendu d’elle. Elle sait, depuis qu’elle est petite qu’elle va se marier. Elle espérait juste que ça arrive pas aussi vite. Ou que pour une raison X ou Y, elle y échappe.
Après tout, Chihiro va probablement y échapper. Alors… alors est-ce que pour éviter ça, elle doit faire comme Chihiro ? Avoir une relation avant le mariage ? Devenir une disgrâce de la famille ? Elle en a pas envie, elle veut faire de mal à personne et sa soeur compte sur elle pour être la fille parfaite. Mais est-ce qu’elle est prête à épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas, un inconnu (?) pour faire plaisir à sa soeur, pour faire plaisir à sa famille ?

Lorsqu’il lui dit que c’est normal, qu’elle ferait la même chose à sa place, elle baisse les yeux mais sourit légèrement. Oui, probablement qu’elle ferait la même chose. Elle sait pas comment, mais elle ferait tout pour l’aider, ça c’est sûr.

Il décide de changer de sujet et lui parle d’un roman qu’il est en train de lire. Elle l’a déjà lu et n’a pas envie de lui avouer qu’elle ne l’a vraiment pas plus apprécié que ça. Après tout, les manigances de la noblesse et de la royauté, elle en a bien assez comme ça dans sa vie, elle n’a pas particulièrement envie de la lire dans ses fictions.

“Je me souviens de l’avoir lu mais en ce moment je lis plutôt des études sur les effets de la mandragore dans l’antidote du véritaserum. C’est fascinant. Ça paraît évident au vu des propriétés de la mandragore et des nombreuses antidotes dans lesquelles on les utilise, mais pour réussir à contrer une potion aussi forte que le véritaserum… Je me demande si le bezoar pourrait être utilisé aussi…”

Elle se rend compte qu’elle parle probablement un peu dans le vide et sourit à son ami. “Désolée… Alors, tu disais… Arsène Lupin…” qu’elle lui lance avant de remonter les jambes sous elle pour s’installer en tailleur, prête pour une discussion des plus normales avec son ami des plus normaux. Qui ne deviendra certainement pas son fiancé, et encore moins son mari.

Le changement de discussion se fit plutôt naturellement, quoiqu’un peu forcé par le jeune homme qui voulait surtout changer les idées de sa camarade en parlant d’une passion commune pour la lecture. Il s’avéra cependant que Manami semblait bien plus enthousiaste sur la concoction d’une potion contrant le veritaserum qu’envers le livre dont il avait lui-même parlé. Rien qui ne pu vraiment le surprendre et cela ne le décevait pas non plus, bien trop partisan du fait que chacun pouvait avoir ses centres d’intérêts et des gouts différents, surtout en ce qui concernait la lecture. Le nombre de livres et d’histoires étant si vaste, il ne pouvait décemment pas attendre de quelqu’un d’avoir les mêmes goûts que lui à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. La voir se perdre dans son raisonnement et oublier un instant les tracas causés par sa tante laissa cependant filtrer un léger sourire sur le visage du jeune homme qui avait malgré tout réussi son entreprise. La jeune Duchesne remarqua alors son propre empressement, plongée dans sa discussion, avant de s’excuser et de se mettre en tailleur pour reprendre le fil de conversation au sujet du personnage de Maurice Leblanc.

« Ho, ne t’excuses pas ! C’était intéressant comme hypothèse. Je ne demande qu’à voir pour le Bézoard, même si le fait qu’il soit principalement un anti-poison me fait penser qu’il n’agirait pas véritablement sur le veritaserum. Après, le meilleur moyen d’y résister serait encore de s’entraîner à l’occlumancie. » Dit-il, pour montrer son intérêt dans la discussion lancée par son amie. Tout en faisant cela, son esprit continuait de cogiter, cherchant ce que Claire Duchesne pouvait bien chercher dans le mariage de sa nièce. Savoir ce qu’elle gagnerait dans certaines alliances pouvait le mettre sur la piste du futur fiancé, qu’il soit au courant ou non. Bien entendu, il fallait chercher dans la Noblesse, car la marquise n’était pas vraiment prompte à laisser rentrer la bourgeoisie dans le nom de sa famille, préférant de loin se tourner vers les Noblesses au-delà des frontières. Les hypothèses allaient et venaient, à la fois restreintes si l’on s’en tenait aux familles qu’il connaissait, mais aussi bien trop nombreuses si l’on prenait en compte les familles nobles internationales. S’il fallait cependant avouer quelque chose, Lancelot se doutait que la personne était probablement une de leur connaissance. Claire Duchesne ayant une forte autorité sur Manami quoique cette dernière puisse en penser, il n’y avait aucun doute que la marquise ferait tout pour garder la jeune femme dans sa poigne, ce qui rejetait presque automatiquement l’hypothèse de l’envoyer à l’autre bout du monde. Si le mystère restait épais, il avait au moins une piste à suivre.

« Oui, alors, Lupin ! Un personnage que j’apprécie énormément, pas toi ? Ce gentleman cambrioleur, charmeur, qui se joue de la police et joue le rôle d’un noble bien sous tout rapport qu’il n’est pas pour se jouer de certains prétentieux. Je sais que ce n’est pas très en vogue dans la cour d’apprécier un tel personnage mais… J’avoue qu’il m’intéresse bien plus que toutes les manigances politiques qu’on peut lire dans certains romans… » Dit-il en haussant les épaules. Ces histoires à base de celui qui lancerait le plus de rumeurs sur l’autre et autres romances plus romanesques les unes que les autres n’étaient pas pour lui. Il aimait l’aventure, le panache, et pas les commérages qu’il pouvait déjà entendre dans sa propre vie lors de certaines réceptions.

« Et toi alors, en dehors des mandragores, qui serait ton personnage de roman préféré ? » Demanda-t-il, continuant cette petite conversation qui pourrait déboucher sur n’importe quel sujet, du moment qu’il leur plaisait.

Manami a toujours eu un peu tendance à élaborer lorsqu’elle commence à parler de choses qui l’intéresse. Rares sont les gens qui la connaissent assez pour qu’elle ose leur en parler. Et dans ceux-ci, rares sont ceux qui acceptent de l’écouter assez longtemps pour qu’elle ait le temps de déblatérer tout ce qu’elle a toujours à raconter. Lancelot a toujours fait parti d’une de ces personnes.
Pour autant, elle a pas particulièrement envie d’en abuser et accepte facilement le sujet premier de conversation, à savoir sa lecture à lui. Heureusement, puisque dans le cas contraire, avec la réponse qu’il lui a donné à sa théorie, elle aurait pu repartir sur trois heures à discuter des nombreuses raisons pour lesquelles, si indeed, lé béozar pourrait faire partie d’une protection contre le véritaserum.
Même si en soi, la mandragore serait probablement plus performant.

Entre les potions et Arsène Lupin, Manami en oublierait presque la raison première qui l’avait apporté jusqu’à Lancelot. Les fiançailles imaginées par sa tante, loin de son esprit. Elle réfléchit désormais à Arsène Lupin et aux nombreuses aventures que Lancelot lui prête. Manami n’avait pas particulièrement apprécié le personnage. Ne l’avait pas détesté non plus, loin de là. Elle se souvient juste qu’elle avait préféré les aventures au personnage en lui-même. Elle se souvient de l’avoir trouvé inutilement révolutionnaire, en comparant son monde sans magie au leur.

La question suivante la fait réfléchir. Son personnage de roman préféré ? En vérité, elle n’est pas bien sûre de savoir quoi répondre. Elle lit rarement de la fiction, ou même rarement des romans, tout simplement. Souvent, ce sont des oeuvres qu’on l’oblige à lire et lors desquels elle ne prend pas réellement plaisir.
Oh, elle lit beaucoup et aime se perdre des heures dans des ouvrages. C’es juste que bien souvent, ces ouvrages ne sont pas fantasques, ni romancés. Ce sont en général des livres de classe ou des livres techniques. Bien souvent des livres de potions avancés qu’elle ne devrait probablement pas encore avoir le niveau pour comprendre.

“Je ne sais pas vraiment… Si je devais absolument en choisir un… je dirais probablement… Non, je sais pas. Désolée… J’ai bien des personnages en tête, mais aucun ne mériterait le titre de personnage de roman préféré.”

Elle sourit, un peu gênée. Après tout, c’est pas son style, de mentir sur des choses comme celles-ci. Elle préfère dire la vérité, même si elle est un peu triste.

“Lancelot… Tu penses… Enfin… Tu crois qu’il sera gentil avec moi ?”

Parce que même si les discussions sur les livres l’ont un peu sorti de sa pensée première, la peur, la crainte, n’est jamais loin. Qui sait ce qu’il lui arrivera lorsqu’elle sera mariée ? Est-ce qu’elle sera heureuse ? Est-ce qu’elle sera bien traitée ?
Elle a peur, Manami, et ce n’est pas un sentiment qu’elle apprécie ressentir.