C’était une idée qui trainait dans sa tête depuis quelques semaines déjà. Shirin n’avait jamais appris à nager parce que les grandes étendues d’eau lui avaient toujours dans le fond fait peur. Elle adorait les plaines de vents, les déserts, le ciel, les grandes forêts. Mais l’océan, la mer et les lacs, c’était aux antipodes de son élément, le feu. Elle n’avait jamais demandé à ce qu’on lui apprenne à nager parce qu’elle n’en avait jamais eu besoin, pas plus qu’elle n’en avait ressenti le besoin non plus. Mais quand elle avait revu Mira en cette rentrée, elle s’était dit pourquoi pas. Après tout, ça ne devait pas être si compliqué si tout le monde savait le faire.
Comme le vélo ou monter l’abraxan finalement.
Et puis, c’était Mira. Depuis le temps qu’elle lui parlait de son monde et surtout qu’elle avait toujours vécu en bord de mer, Shirin savait qu’elle pouvait lui faire confiance et que c’était son élément à elle. Alors, elle ne craindrait rien. Et puis, elle devait l’avouer : passer un moment avec son ami était aussi très appréciable après un été séparées. La rentrée avait son lot de pressions finalement, entre les cours qui reprenaient, les drames des autres et les siens propres… elle ne disait pas non à ce petit moment entre filles avec la simplicité qu’était toujours Mira. Une bouffée d’air frais dans un quotidien parfois lourd pour Shirin et ses propres problèmes non réglés.
Elles s’étaient données directement rendez-vous devant le bungalow de la plage de Clayonne. En posant son regard sur la mer, Shirin a un petit sourire. Il faisait encore suffisamment chaud en ce début de septembre et l’été qui touchait à sa fin pour pouvoir encore se baigner. Elle aimait bien venir ici pour y tremper simplement les pieds et écrire un peu. Si elle s’était habillée plus légèrement que d’habitude en gardant le code de couleur de son élément, elle n’avait pas retiré ses gants et ne les retirerait qu’à la dernière minute, pas réellement pressée de les retirer, ni ne souhaitant lire quoique ce soit par inadvertance.
Mettant sa main pour se protéger les yeux du soleil, la brune zieute du regard le chemin un peu plus loin. Mira apparait, petite silhouette avant de devenir de plus en plus grande. Shirin lui sourit simplement et chaleureusement.
« Salut. » dit-elle avant de lui faire la bise. Elles s’étaient vues le matin même pour se mettre d’accord sur leur lieu de rendez-vous sur leur temps libre en ce premier weekend de septembre. Shirin avait son sac avec sa serviette de plage et quelques boissons et gâteaux pour passer le gouter, de quoi finalement pique-niquer. Shirin tient son chapeau un peu à cause du vent avant de finalement dire à Mira en désignant le bord de plage : « Tu as une préférence pour l’endroit où on se met ? » Elle bouge alors pour se mettre en direction de la plage. « Je te préviens, mon maximum jusqu’à présent, ça a été la taille. Je ne vais jamais loin quand je vais à la plage. » Elle rit un peu. Elle se sent comme une enfant qui a hâte de découvrir quelque chose pour devenir une grande.

La joie et l’euphorie de Mira sont contagieuses et en observant son faciès radieux et toujours aussi doux, Shirin se dit qu’avec elle, rien ne peut lui arriver. Après tout, Mira était dans son élément ici. Il n’y avait de toute façon aucune raison que cela se passe mal. Pourtant, Shirin ressentait cette légère appréhension. Cette grande étendue d’eau, finalement, ça lui faisait forcément un peu peur et que son esprit ne pouvait s’empêcher de s’imaginer des scènes toutes plus catastrophiques les unes que les autres.
C’était après tout, le propre de l’imagination même.
La voix de Mira la ramena un peu à la réalité et Shirin acquiesça en la suivant, la laissant prendre le lead de la direction. Si l’eau pouvait être tempétueuse, avec Mira à ses côtés, observant ses cheveux bruns clair et sa peau blanche, il lui semblait qu’elle serait parfaitement bien guidée également, et si une légère nervosité propre aux expériences des premières fois se faisait entendre, les mots de son amie surent la rassurer. C’était bon de se faire rappeler qu’elles iraient à son rythme et cette bienveillance émanant du visage de Mira était toute aussi agréable que plaisante.
« Tu as tout à fait raison. » commenta Shirin en lui souriant pleinement.
Arrivées à l’endroit duquel Mira semblait particulièrement familière, Shirin déposa son sac, sortit sa serviette et l’étendit sur le sol. Puis, elle s’assit et répondit sereinement à la jeune femme à ses côtés :
« On mange un peu ? J’ai un petit creu. »
C’était bien vrai, mais c’était aussi un peu sa peur qui parlait. Inconsciemment, sans doute, essayait-elle de repousser un peu le moment. Ou plutôt, prenait-elle son temps. Shirin n’était pas une grande courageuse, tout du moins ne s’était-elle jamais définie comme cela. Mais elle restait persuadée que si tout le monde, ou la plupart des gens savaient nager et apprenaient à tout âge, elle pouvait bien le faire également. Elle ne pouvait ignorer le mélange de défi interne et de curiosité qu’elle ressentait et elle ne se découragerait pas.
Sortant alors ce qu’elle avait, elle laissa les gâteaux en évidence pour que Mira puisse se servir. Elle regarda également ce que Mira avait apporté et sourit. Elle en avait déjà l’eau à la bouche.
« Ça a été ton été, toi ? » demanda-t-elle avec un sourire.
Évidemment, Mira lui avait déjà raconté beaucoup de choses sur son monde sans magie, et Shirin avait toujours été un peu curieuse. Elle aimait toujours autant que Mira lui raconte et Shirin adorait également lui poser des questions tant pour assouvir sa curiosité que sa culture.

Si elles en avaient pour deux jours de tout ce qu’elles avaient ramenées, Shirin essaya de se montrer contrôlante. Dans une de ses périodes de creux face à sa maladie, Shirin se dit qu’elle ne mangerait qu’un ou deux biscuits ou gâteau. Dans sa tête, elle chercha déjà inconsciemment lequel était le moins calorique parce qu’elle « faisait attention ». Mais la présence de Mira est aussi un divertissement envers cette pulsion. Shirin se concentre sur elle et sa réponse sur ses vacances. Elle acquiesce doucement et si elle voudrait lui poser des questions sur les travaux en question, elle décide de ne rien en faire. Mira le fera sans doute si elle en ressentait le besoin, mais Shirin se doutait que cela avait à voir avec la reconstruction du monde non magique d’après guerre. Huit ans déjà et elle se doutait que cela n’allait sans doute pas aussi vite que chez les sorciers. Elle n’osait pas imaginer ce qu’il y avait encore à faire à Vannes et si malgré la fin de la guerre, des gens avaient pu tout de même reconstruire chez eux… ou s’ils étaient allés ailleurs. Elle supposait qu’il ne fallait pas être ni médium, ni télépathe, ni tangibile pour que les souvenirs et la douleur ressurgisse. Parfois, le simple fait de se rappeler des horreurs suffisait.
Observant les mains de Mira, elle constata que là où les siennes étaient intactes, celles de Mira avaient encore les stigmates de leur été. Pour Shirin, elle sentit un frisson la parcourir. Ses mains, c’était son futur instrument de travail. Elle avait mal pour Mira et compatissait sincèrement.
« Si tu veux, je dois avoir de la crème pour adoucir tout ça et refermer quelques plaies. »
Parce qu’outre ses gants, Shirin avait aussi une armée de produit pour les mains, son épiderme étant devenu sensible lorsqu’elle ne portait pas ses gants. Et puis, si elle pouvait aider Mira à fermer quelques micro-plaies, elle le ferait avec plaisir.
Le sujet se fit un peu plus léger lorsque Mira parla de sa mère et ses pâtisseries. Pourtant, le cœur de Shirin se serre et elle se force à regarder la mer. D’ignorer le sentiment d’envie et sans doute de jalousie qui l’étreint. Elles avaient en tout cas ça en commun d’avoir peu eu leur présence paternelle visiblement. Javed n’avait pas été très présent puis ce qu’il avait à faire ici en France et ne l’avait pas accompagnée en Iran. En revanche, elle ne put s’empêcher de sourire en imaginant Mira sur son bateau. Sans doute parce que la joie de Mira était communicative.
« C’est super tout ça. » commenta Shirin.
Elle mangea un bout de son gâteau en entendant Mira lui retourner la question pour ses vacances et évoquer l’Iran. Elle adressa un sourire à son amie.
« C’était génial. Ma tante, Naheed, m’a accompagnée comme toujours. On a passé de très bonnes soirées avec le reste de la famille. Un rire s’échappe des lèvres de Shirin. J’ai rencontré les derniers bébés de la famille et j’ai revu mes autres cousins et cousines. On a beaucoup rit. Je suis aussi allée visiter un site historique avec ma grand-mère. C’était en bord de la mer Caspienne. C’était magnifique et très instructif sur les populations sorcières antiques perses. » Parce qu’elle profitait toujours de ses vacances pour visiter quelque chose en lien avec l’histoire de ce pays. « Baba va bien. Enfin, je ne l’ai pas beaucoup vu pour être honnête. Il était occupé ici en France et n’est pas venu en Iran. »
Elle regrette un peu que ce ne fut pas le cas. Elle adressa un petit sourire à Mira. « L’été prochain, je pense que je resterai en France. Je ne sais pas si ça te dit de venir chez moi dans les Vosges ? Je pourrais aussi venir te voir d’ailleurs. » Elle comptait à vraie dire tenter de se faire une place plus importante ici en France parce qu’après tout, elle tenait toujours à rentrer plus dans la caste des Clairestellance.

Elle savait que Mira lui parlerait plus tard de ce qui se passait réellement dans le monde moldu. Shirin en voulait pas raviver de mauvais souvenirs, mais elle savait que Mira n’hésiterait pas à lui en parler même si, elle devait bien l’admettre, parfois, elle ne savait pas réellement quoi dire ni comment réagir si ce n’est être une oreille attentive pour son amie. Alors, elle ne fut pas mécontente que Mira lui pose la question pour ses propres vacances. Elle avait dit plusieurs fois à Mira que si elle allait un jour en Iran, elle serait hébergée à titre gratuit dans sa famille qui adorerait l’idée de faire visiter le pays à une étrangère. Elle leur avait parlé longuement de Beauxbâtons et donc de Mira, forcément. C’était un peu comme si elle faisait partie de la famille même si elle n’y était jamais allée.
Et puis, Shirin avait aussi pour projet d’éventuellement aller voir la famille de Mira. Parce qu’il n’y avait aucune raison que ce ne soit pas le cas. Découvrir l’endroit où vivait Mira le reste du temps quand elles n’étaient pas à Beauxbâtons, c’était aussi important. Et puis, il fallait bien dire que Shirin devait aussi passer du temps en France si elle voulait avoir la même renommée que son père à l’avenir. Cela voudrait dire faire quelques sacrifices et ne pas aller tout l’été prochain en Iran aussi. Mais proposer aussi à Mira de venir la voir était aussi important pour elle, sans doute parce que Shirin n’invitait pas grand monde chez elle. Elle n’était pas tant une fille populaire après tout, se contentant de son cercle restreint d’amis et ayant toujours été heureuse comme cela.
Voir l’enthousiasme de Mira fit sourire Shirin et elle répondit aussitôt, joyeuse : « J’allais aussi te dire que je voudrais bien venir chez toi ! »
Riant un peu, Shirin mangea un peu avant de poser son regard sur l’eau. La nervosité la gagna un peu mais la joie contagieuse de Mira la fit rire, son don de télépathie se faisant sentir. La nervosité s’envola finalement devant l’air rassurant et spontané de Mira et à sa question, Shirin s’essuya les mains et dit d’un air déterminé :
« Oui, allons-y. Tout le monde arrive à nager. Ça ne doit pas être si terrible ! »
Même à vingt-trois ans. Délaissant leurs affaires, Shirin se leva et alla d’abord mettre les pieds dans l’eau. L’eau était encore pas trop fraiche mais elle ne put s’empêcher de frissonner un peu, puis de regarder autour d’elle. Sans doute pour s’assurer que personne ne la regarde mais l’endroit était peu bondé. Pour autant, Shirin ne pouvait se sentir un peu mal à l’aise en maillot de bain, effet de son corps qu’elle n’aimait pas spécialement.
« Tu as des conseils à me donner ? Enfin, je t’écoute. C’est toi mon professeur ! » dit-elle finalement joyeusement avant de s’immerger totalement dans l’eau mais ayant toujours pieds, ses longs cheveux bruns se mouillant au passage. Elle adressa finalement un sourire à Mira, ne pouvant s’empêcher de la trouver rayonnante et parfaitement à sa place dans l’eau.